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Hildegarde de Bingen, une vision globale de la personne


Proclamée docteur de l’Église en 2012, sainte Hildegarde de Bingen est une abbesse rhénane du Moyen Age, mystique, compositrice, auteur de nombreux livres sur la morale, le cosmos ou encore les plantes. Sa vision originale et globale de l’être humain garde une réelle actualité.


Connue surtout pour ses conseils d’alimentation, sainte Hildegarde de Bingen était avant tout une femme en relation avec Dieu, qui reçut de nombreuses visions et témoigna de la vie divine. Née en Rhénanie en 1098, elle est morte à 81 ans - en dépit d’une santé fragile. A l’âge de 8 ans, elle entra d’après la décision de ses parents, des nobles locaux, au monastère bénédictin de Saint-Disibod. A la mort de la prieure, Judith de Spanheim, elle lui succéda en 1136. Le nombre de novices augmentant, elle fonda une nouvelle communauté à Bingen où elle passa le reste de sa vie.

Alors qu’elle avait 43 ans, elle commença à dicter les visions mystiques - qu’elle recevait depuis l’enfance - à son conseiller spirituel le moine Volmar, et à sa secrétaire Richardis de Strade. Craignant que ses visions ne viennent pas de Dieu, elle en parla à saint Bernard de Clairvaux, qui jouissait d’une grande notoriété en Occident, et qui la rassura.

En 1147, c’est le pape Eugène III lui-même qui encouragea Hildegarde à écrire ses visions et à en parler en public, ce qu’elle fit lors de déplacements jusqu’à un âge avancé. L’abbesse entretint une vaste correspondance avec des communautés monastiques masculines et féminines, des abbés et des évêques, et rappela même à l’ordre l’empereur Frédéric Barberousse à l’origine d’un schisme ecclésial.

Le pape Benoît XVI a consacré deux audiences du mercredi à Hildegarde de Bingen en septembre 2010. Laissons-le raconter un épisode de sa vie : « Hildegarde s’opposa au mouvement des cathares allemands. Ces derniers - littéralement cathares signifie « purs » - prônaient une réforme radicale de l’église, en particulier pour combattre les abus du clergé. Elle leur reprocha sévèrement de vouloir renverser la nature même de l’Église, en leur rappelant qu’un véritable renouvellement de la communauté ecclésiale ne s’obtient pas tant avec le changement des structures, qu’avec un esprit de pénitence sincère et un chemin actif de conversion. »

Hildegarde décrivait ses visions à saint Bernard de façon concrète : « La vision envahit tout mon être : je ne vois plus avec les yeux du corps, mais elle m’apparaît dans l’esprit des mystères... Je connais la signification profonde de ce qui est exposé dans le psautier, dans l’évangile, et d’autres livres, qui m’apparaissent en vision. Celle-ci brûle comme une flamme dans ma poitrine et dans mon âme, et m’enseigne à comprendre en profondeur le texte. »

Les principaux livres de sainte Hildegarde, où elle transcrit ses visions, sont au nombre de trois : le Scivias (Connais les voies du Seigneur), le Liber vitae meritorum (Livre des mérites de la vie) et le Liber divinorum operum (Livre des œuvres divines). « Ces trois livres forment une grande somme théologique sur l’ensemble de l’homme ; ils sont d’origine divine et révélés, ce qui n’est pas le cas de ses livres non théologiques », explique le Père Pierre Dumoulin, auteur de Hildegarde de Bingen, prophète et docteur pour le troisième millénaire et co-auteur d’une traduction des Mérites de la vie, tous deux parus aux éditions des Béatitudes.

Dans le Scivias, Hildegarde résume en trente-cinq visions l’histoire du salut, de la création à la fin des temps. « Hildegarde, précisément dans la partie centrale de son œuvre, développe le thème du mariage mystique entre Dieu et l’humanité réalisé dans l’Incarnation, évoquait le pape Benoît XVI en 2010. Sur l’arbre de la Croix s’accomplissent les noces du Fils de Dieu avec l’Église, son épouse, emplie de grâce et rendue capable de donner à Dieu de nouveaux fils, dans l’amour de l’Esprit Saint. » Le Livre des mérites de la vie présente pour sa part 35 vices et 35 vertus, à la manière d’un traité de psychologie. Quant aux Livre des œuvres divines (où se trouve l'enluminure L'homme universel, ci-contre), il décrit la place de l’homme dans l’univers.

Outre ses ouvrages de médecine - Physica, Causae et Curae -, Hildegarde composa plus de soixante-dix chants, hymnes et antiennes, réunis sous le titre de Symphonia Harmoniae Caelestium Revelationum. Certains sont encore interprétés aujourd’hui, notamment par l’ensemble de musique médiévale Sequentia. Hildegarde a aussi créé une langue, la Lingua ignota.

L’héritage d’Hildegarde, qui parle à notre temps, se situe dans sa vision globale, holistique, de l’être humain : corps, âme et esprit. « L’âme et le corps sont l’œuvre unique d’une double nature, écrit-t-elle dans le Livre des œuvres divines. L’homme est partout corporel. » Hildegarde établit donc une distinction mais aussi une unité entre le corps et l’âme. « Je suis mon corps, je suis mon âme, je suis mon esprit » pourrait-on dire. Pour Hildegarde, la santé de la personne dépend en partie de l’éclat de son âme.

« L’être humain a tendance à s’occuper de sa santé physique, mais beaucoup moins de celle de son âme, affirme le Père Pierre Dumoulin. Alors que si l’âme est en mauvaise santé, si le péché la détruit, le corps va tomber malade. La confession est la base pour se soigner. » A l’inverse, si la personne souffre physiquement mais que l’âme est en bon état, elle vivra les choses de façon paisible et heureuse : « Beaucoup de personnes qui vont mourir attendent le prêtre pour se confesser, et meurent en paix, au milieu de souffrances terribles ! » souligne le Père Pierre Dumoulin. C’est le même principe en ce qui concerne les soins palliatifs : on prend soin de toute la personne, corps et âme. De la même façon, un enfant guérit plus rapidement si sa mère est à ses côtés que s’il est seul.

Hildegarde de Bingen utilise une notion centrale, la viriditas (viridité). Il s’agit de l’énergie vitale de la personne, corps, âme et esprit. Ce n’est autre que l’Esprit-Saint, la chaleur de Dieu qui donne la vie.

Continuant d’interpeller et d’inspirer même des personnes non croyantes - ainsi la romancière Lorette Nobécourt a publié en 2013 une biographique romancée d’Hildegarde, La clôture des merveilles (Grasset) -, Hildegarde unifie le visible et l’invisible. Solange Pinilla


Article paru dans Zélie n°11 (Juillet-Août 2016) - Crédit photo : Codex des Liber Scivias/Wikimedia commons CC - et Wikimedia commons CC

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