Le pardon ou une liberté nouvelle
Ni oubli, ni forcément réconciliation, le pardon est le choix de ne pas réduire l’offenseur à son acte et de lui remettre sa dette. Il s’agit d’un long chemin, tant émotionnel que spirituel.
Il est des situations où le pardon semble impossible. On pourrait le penser d’Aurélie, mère de Kévin, lynché à l’âge de 21 ans en 2012 à Echirolles près de Grenoble. Dans une émission de Dans les yeux d’Olivier sur le thème du pardon, cette femme chrétienne déclarait pourtant : « Parce que je me sens moi-même pardonnée par Dieu, je peux pardonner à l’autre. » Son pardon a d’ailleurs fait réfléchir tout son quartier et mis un frein à l’esprit de vengeance.
Le pardon n’est pas le fait d’oublier l’acte. « Pardonner, ce n’est pas oublier, raconte Tim Guénard, gravement maltraité dans son enfance, dans son livre Plus fort que la haine. C’est accepter de vivre en paix avec l’offense. Pour pardonner, il faut se souvenir. Non pas enfouir la blessure, l’enterrer, mais au contraire la mettre au jour, dans la lumière. » Alors que le déni – qui est souvent un mécanisme de défense – empêche en effet d’avancer vers le pardon, la conscience de ce qu’on a subi permet de réaliser la gravité de l’acte.
La colère est un passage obligé pour objectiver l’offense qui, elle, n’est pas excusable, et pour éviter la culpabilité. On peut l’exprimer par l’écriture ou le dessin par exemple, ou l’évacuer par le sport. Tristesse, haine, peur ou honte peuvent aussi être reconnues, et c’est encore mieux dans un cadre sécurisant avec un accompagnateur.
Après ce travail sur les émotions (voir aussi dans l’encadré ci-dessous les étapes 2 à 8 du pardon), qui peut prendre un temps variable – parfois des années –, et qui peut avoir été confié à Dieu dans la prière, viennent les étapes proprement spirituelles. Cependant, certaines personnes parviennent à pardonner sans donner consciemment une dimension spirituelle à ce choix.
La psychologue Bernadette Lemoine propose une démarche particulière pour concrétiser l’ouverture de cœur vers le pardon, dans son livre Personnalités toxiques (EdB) : « Les forces qui m’auraient servi à me venger, que j’aurais pu employer à cette vengeance, vont me servir à vivre dans l’amour. Je demande à Jésus de pardonner avec et pour moi, pendant que je fais des petits actes d’amour, très simples, tel que faire un travail avec amour, cueillir des fleurs, sourire, bénir intérieurement celui à qui j’en veux, etc. (...) Il suffit que j’indique à Jésus le destinataire de mes petits actes d’amour : « Pour pardonner à... ». Ces petits actes pourraient être comparés aux intérêts qui s’ajoutent au Capital déjà versé par Jésus. »
Enfin, le pardon est une condition pour la réconciliation, mais il n’y conduit pas toujours. On peut pardonner sans que la personne ne manifeste aucun regret, ce qui montre aussi qu’on ne dépend plus de son offenseur.
D’autre part, le pardon n’est pas nécessairement acquis une fois pour toutes : « A chaque fois qu’un événement viendra raviver la douleur, il nous faudra re-pardonner, affirme Bernard-Marie Geffroy dans Conversions. Spiritualité et psychologie dans l’épreuve (Artège). Plus de crainte, plus de tremblements, juste une piqûre de rappel, une reprise d’un travail de fond sur une terre déjà travaillée. » Les personnes qui ont pardonné sont plus en paix et peuvent avancer. Ainsi, des études ont montré que nombre de parents qui ne reproduisent pas la violence subie dans leur enfance ont pardonné à leurs parents, sans les idéaliser pour autant.
Le pardon peut offrir encore plus de joies que ce que la personne avait imaginé, comme pour Lorène d'Elissagaray, qui raconte dans Grâce à toi. Du secret au pardon (Salvator) comment elle a pardonné à son mari de lui avoir caché la paternité d'un fils avant son mariage (lire « Quand la gratitude transforme l’épreuve », Zélie n°19). Son pardon a permis une magnifique rencontre avec le « fils caché » et sa mère. Là où est le pardon, « amour et vérité se rencontrent » (Psaume 84). • Solange Pinilla
Les 12 étapes du pardon de Jean Monbourquette (auteur de Comment pardonner chez Bayard)
1 Ne pas se venger et faire cesser les gestes offensants. 2 Reconnaître sa blessure et sa pauvreté. 3 Partager sa blessure avec quelqu’un. 4 Bien identifier sa perte pour en faire le deuil. 5 Accepter sa colère et l’envie de se venger. Pour ne pas les retourner contre les autres ou contre soi. 6 Se pardonner à soi-même. De s’être montré trop vulnérable, de ne pas avoir su quoi faire... 7 Comprendre son offenseur. En distinguant l’acte de la personne. 8 Trouver un sens à l’offense. Occasion de croissance, d’une meilleure connaissance de soi... 9 Se savoir digne de pardon et déjà pardonné. Laisser tomber ses résistances intérieures à être aimé d’un Amour inconditionnel. 10 Cesser de s’acharner à vouloir pardonner. Accepter que la volonté ne suffise plus et que le pardon nous dépasse. 11 S’ouvrir à la grâce de pardonner. Laisser Dieu agir. 12 Décider de mettre fin à la relation ou la renouveler. •
Article paru dans Zélie n°31 (Juin 2018)
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