Comme Marie, recevoir et donner Dieu
La jeune fille qui s’élance d’un pas rapide sur les routes montagneuses de Judée porte en elle un trésor. Elle vient de prononcer un « oui » qui emporte toute sa personne dans une aventure hors du commun. Ce « oui » a fait venir Dieu en elle. En réalité, une telle parole est en profonde syntonie avec toute sa vie passée, comme avec son être même : Marie est l’Immaculée conception, préservée du péché originel. Sa virginité, d’abord signe d’une fidélité à Dieu, devient celui de sa maternité exceptionnelle.
Cependant, recevant le Seigneur en son sein, Notre-Dame ne Le garde par pour elle-même. Son premier acte est d’accourir chez sa cousine Elisabeth afin de l’aider dans les derniers mois avant la naissance de saint Jean-Baptiste. Il s’agit bien sûr d’une charité concrète mais, au moment-même où elle offre ses mains pour le service quotidien, Marie apporte Dieu. Jean-Baptiste ne s’y trompe pas, lui qui tressaille de joie. Elisabeth non plus ne manque pas de saluer comme il se doit l’arrivée du Seigneur en personne (1). Recevoir Dieu afin de le donner, telle est la mission de Marie, si visible dans les premiers événements de la Nouvelle Alliance. Telle est aussi la mission de l’Eglise.
De fait, Notre-Dame est le modèle de l’Eglise. Certains expliquent même qu’elle est « première Eglise (2) ». Bien sûr, il est impossible d’oublier que le mystère de l’Eglise est intimement lié à celui de l’eau et du sang jaillis du Cœur du Christ au Calvaire. C’est également trempée dans le feu de l’Esprit de Pentecôte que l’Eglise sera rendue visible et féconde aux yeux de la multitude. Toutefois, il n’est pas interdit de voir dans la Madone celle qui, la première, a fait partie de ce mystère.
A l’Annonciation, l’Eglise était pour ainsi dire incarnée en sa personne, puisque Marie était alors la seule créature engagée dans la Nouvelle Alliance. Notre-Dame sera d’ailleurs également présente aux événements fondateurs du Golgotha et du Cénacle, conservant ferme la foi en son Fils puis priant pour que descende l’Esprit promis par le Sauveur (3).
Par son mystère de sainteté et de maternité, Marie montre donc la voie à l’Eglise sainte – quoique non sans pécheurs – et mère. L’une comme l’autre vivent d’une charité virginale et féconde : dans un « oui » pur à Dieu, elles reçoivent afin de pouvoir ensuite donner.
La charité virginale est fidélité au Seigneur, elle rejette tout « adultère » dans la vie spirituelle. C’est pourquoi « le Christ, désirant établir la virginité de l’Eglise dans le cœur a tout d’abord préservé celle de Marie dans son corps (4)».
Quant à la fécondité, Marie a fait naître la Tête du « Corps du Christ », selon l’expression de saint Paul (5). Pour sa part, l’Eglise donne naissance aux membres. Une belle homélie antique chante : « Qu’elle se réjouisse en ce jour, l’Eglise du Christ, qui, à la ressemblance de la bienheureuse Marie, se trouve enrichie par l’opération de l’Esprit Saint et devient Mère d’une progéniture divine ! (...) L’Esprit couvrit Marie de son ombre, et sa bénédiction fait de même avec l’Eglise à la fontaine baptismale. Marie a conçu son Fils sans péché, et l’Eglise détruit tout péché dans ceux qu’elle régénère (6). » L’une et l’autre sont, à des titres divers, « Mère du Christ ». L’Eglise fait naître d’« autres christs », des chrétiens, elle ajoute des membres au Corps mystique du Christ.
Que la charité du Christ puisse irriguer les âmes comme elle habite Marie, tel est le but de l’Eglise. Le cœur de la sainteté réside précisément dans cet amour fidèle et fécond. C’est ce qu’avait perçu la petite Thérèse : « Je compris que si l’Eglise avait un corps, composé de différents membres, le plus nécessaire, le plus noble de tous ne lui manquait pas, je compris que l’Eglise avait un Cœur, et que ce Cœur était brûlant d’amour. Je compris que l’Amour seul faisait agir les membres de l’Eglise, que si l’Amour venait à s’éteindre, les Apôtres n’annonceraient plus l’évangile, les Martyrs refuseraient de verser leur sang (...). Je compris que l’Amour renfermait toutes les vocations, que l’amour était tout, qu’il embrassait tous les temps et tous les lieux... En un mot, qu’il est éternel ! (7) »
Et pourtant, l’Eglise n’est-elle pas d’abord caractérisée par le ministère de Pierre, des évêques et des prêtres ? En réalité, ce service essentiel voulu par le Christ (8) est présent pour faire naître et grandir la charité dans le cœur des fidèles : les grandeurs de hiérarchie sont au service des grandeurs de sainteté, selon la formule du cardinal Journet (9). La dimension mariale de l’Eglise apparaît donc la plus fondamentale.
Saint Jean-Paul II peut alors conclure : « Le Concile Vatican II, en confirmant l’enseignement de toute la tradition, a rappelé que, dans la hiérarchie de la sainteté, c’est justement la « femme », Marie de Nazareth, qui est « figure » de l’Eglise. Elle nous « précède » tous sur la voie de la sainteté ; en sa personne « l’Eglise atteint déjà à la perfection qui la fait sans tache ni ride (cf. ép 5, 27) ». En ce sens, on peut dire que l’Eglise est « mariale » en même temps qu’ « apostolique » et « pétrinienne » (10). » Bref, l’Eglise apparaît ainsi comme une communauté de charité que vient structurer le sacerdoce.
Notons d’ailleurs que, dans l’éternité, la fonction « pétrinienne » n’aura plus cours, tandis que la fibre « mariale » sera pleinement vivante. La charité de type marial apparaîtra alors dans sa dimension glorieuse, déjà présente en Notre-Dame qui, en réalité, a toujours un temps d’avance : à l’Annonciation Marie prononçait la première le « oui » des fidèles de la Nouvelle Alliance ; au pied de la Croix, elle conservait seule la foi en son Fils ; à présent elle est la seule créature glorifiée en son corps. Elle est Mère de l’Eglise, tout en lui appartenant : elle est son membre le plus éminent et son modèle (11).
Il reste que toute âme est appelée à vivre à sa manière le mystère marial, féminin. En disant oui à Dieu, l’âme Le reçoit en elle pour le donner aux autres. Toute personne recevant la grâce baptismale devient le Temple de Dieu. Par sa vie et son apostolat, elle contribue à ce que grandisse chez les autres le Corps du Christ. L’âme participe alors à la maternité de l’Eglise, comme l’enseigne Jésus lui-même : « Quiconque fait la volonté de Dieu, voici mon frère, ma sœur, ma mère (12) ». La vie chrétienne achève donc en chaque âme le mystère de l’Eglise : dans une goutte d’eau se trouve la quintessence de la mer (13).
La mission « mariale » est ainsi confiée à chaque âme chrétienne. En ce mois de Marie, affermissons donc notre « oui » à Dieu par nos actions quotidiennes et en réduisant au maximum le règne du péché en nous. De bien des manières, cherchons ensuite à donner Dieu à ceux qui nous entourent. Offrir moins que ce Trésor serait donner trop peu. Ou, comme disait sainte Jeanne Beretta Molla : « Notre corps est un cénacle, un ostensoir : à travers son cristal le monde doit voir Dieu (14). » Abbé Vincent Pinilla, Fraternité Saint Thomas Becket
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Crédit photo : Michel Erhart/Wikimedia commons CC
(1) Cf. Lc 1, 43-44.
(2) Cf. Cardinal J. Ratzinger, H.-U. von Balthasar, Marie, première Eglise, Médiaspaul, Paris, 1998 (3e éd). L’homélie de Benoît XVI le 25 mars 2006 est un écho de son travail théologique.
(3) Cf. Jn 19, 25 ; Ac 1, 14 et 2.
(4) Cf. Saint Augustin, S. 188, 4.
(5) Cf. Ep 1, 23 ; Col 1, 18.
(6) Cette homélie est attribuée à saint Césaire d’Arles.
(7) Manuscrit B.
(8) Cf. par exemple Mc 3, 14.
(9) Cf. aussi Concile Vatican II, Lumen gentium, n°10.
(10) Saint Jean-Paul II, Mulieris dignitatem, n° 27. On pourrait mentionner aussi le chapitre 12 de l’Apocalypse, la Femme étant tout à la fois Marie et l’Eglise.
(11) Le Concile Vatican II dans la constitution dogmatique Lumen Gentium, a particulièrement souligné cela (cf. n° 53) et a voulu parler de Marie dans le cadre du texte sur l’église. Quant au titre « Mère de l’Eglise », il donne désormais lieu à une célébration particulière instituée par le Pape François le lundi de Pentecôte. Pour approfondir ce thème, on pourra également lire : André-Joseph Léonard, L’Eglise au féminin, EdB, Nouan-le-Fuzelier, 2014.
(12) Mc 3, 34-35.
(13) Cf. Père de Lubac, Méditation sur l’Eglise, Collection Œuvres complètes VIII, Cerf, Paris, 2003, p. 290.
(14) Cité en : Abbé Thierry Lelièvre, Sainte Jeanne Beretta Molla, Téqui, Paris 2002, p. 147.