Brigitte Bédard : « La musique de Bach m’a sauvé la vie »
À l’âge de 11 ans, Brigitte Bédard entend « Que ma joie demeure » de Bach par la fenêtre de son voisin, alors qu’elle est animée de pensées suicidaires. Un point de bascule décisif.
La voix mélodieuse de Brigitte Bédard (en photo) nous parvient depuis le Québec, où elle vit. « J’étais très jeune, 11 ou 12 ans. J’étais déprimée, j’avais le mal de vivre. Je ne trouvais pas de sens à ma vie. » L’adolescente était malheureuse dans sa famille et avait commencé à consommer des drogues. « Cela ne m’aidait pas, hormis à m’évader de ma réalité. » Elle avait une grande soif de comprendre pourquoi elle était sur terre, mais personne ne semblait pouvoir lui répondre.
« Ce soir-là, j’avais décidé de fuguer, se rappelle-t-elle. J’habitais en banlieue de Montréal. La fenêtre de ma chambre donnait sur le jardin du voisin, où se trouvait un grand potager. Je me suis dit que j’allais partir à travers le potager, traverser les cours et aller jusqu’à la voie ferrée. Là, soit je monterais dans un train de marchandises ; soit, carrément, je me jetterais sur les rails. J’étais vraiment désespérée ! »
La jeune adolescente prend un baluchon, sort par la fenêtre et rampe sous les plants du potager, en avançant sur les coudes. « À ce moment-là, j’ai entendu une musique. Je ne le savais pas, mais c’était Que ma joie demeure de Bach. Il s’agit du chœur final d’une cantate en dix mouvements, nommé Jesus bleibet meine Freude, c’est-à-dire en réalité : "Jésus demeure ma joie" ! »
La jeune Brigitte, qui ne connaît alors que le rock’n’roll, s’arrête : « J’ai trouvé cela tellement beau ! J’ai écouté de toutes mes oreilles. Cela venait peut-être du salon du voisin. C’était comme si j’étais au ciel. Je me suis couchée sur le dos, et j’ai fumé une cigarette. C’était le plus grand moment de joie depuis que j’étais née ! J’étais transportée. Cela a été la main de Dieu pour moi, qui agissait. Il ne s’est pas vraiment révélé à ce moment-là, en tant que Jésus. Mais cela m’a tellement consolée, et aidée à surmonter cette tristesse que je vivais... J’ai rebroussé chemin, je suis rentrée par la fenêtre et je me suis couchée et rendormie. Il devait être autour de minuit. »
Brigitte reprend goût à la vie. Elle devient aussi fan des Beatles. « J’avais tous leurs disques. J’ai commencé à écouter de la musique de façon permanente. Je pourrais dire que c’est ce qui m’a sauvé la vie. Paradoxalement, les drogues m’ont aussi aidée à tenir... »
Elle ajoute : « Vers 16 ou 17 ans, j’ai rencontré certains amis artistes, et c’est là que j’ai commencé à écouter de la musique classique. Un ami m’a fait écouter du Bach. Je lui ai dit que cela me faisait penser à une musique entendue il y a longtemps, mais que je ne savais pas laquelle. Eh oui, il n’y avait pas Google à l’époque, ni d’application pour retrouver le nom d’une musique ! Nous avons écouté toute la collection et nous sommes tombés sur cette pièce-là, entendue dans le potager... »
Brigitte Bédard, aujourd’hui quinquagénaire, auteur et journaliste chez Le Verbe médias, relit cette expérience autour de la musique : « Bach m’a sauvé la vie, et de mes envies suicidaires. En fait, je n’avais plus envie de mourir, c’était comme si j’avais reçu un souffle de vie. Comme si la musique répondait à un besoin de combler un manque de Dieu. Comme si elle me connectait avec l’au-delà. Qu’elle me permettait de me sentir moins seule. Ce à quoi j’aspirais, rien ni personne ne pouvait le combler. De 11 ans à 33 ans, j’ai cherché à combler ce vide-là, jusqu’à ma rencontre avec le Christ de façon fulgurante. »
Brigitte a raconté son parcours et sa conversion dans le livre J’étais incapable d’aimer. Le Christ m’a libérée, paru chez Artège (lire aussi notre article « Brigitte, libérée et pardonnée », Zélie n°50, page 15), et la suite de son histoire dans Je me suis laissé aimer. Et l’Esprit Saint m’a emportée (Artège).
Brigitte garde un lien fort avec la musique, comme elle nous l’explique joyeusement. « Selon moi, c’est la forme artistique qui répond le mieux à notre besoin de Dieu. Elle exprime Dieu en nous. Elle permet de communier avec Dieu de façon totale. Je ne peux pas prier sans chanter ! Tous les jours, je prie seule dans ma chambre. Je chante beaucoup de chants de la communauté du Chemin neuf, dont mon mari et moi faisons partie. Je les connais par cœur ! »
Notre interlocutrice nous parle de Nick Cave, un artiste australien gothique, qui a perdu deux enfants : l’un, de 15 ans, a chuté dans un ravin ; l’autre de 22 ans, atteint de schizophrénie, s’est suicidé. Il a raconté dans la presse que sans la musique, il ne sait pas comment il serait sorti de son chagrin et aurait pu rétablir son lien avec Dieu...
« À l’inverse de la drogue qui fait s’évader de la réalité, la musique rassemble. Dans notre famille - nous avons 6 enfants -, nous avions ce commandement : "5 minutes par jour tu danseras". Ce que nous faisions par exemple en rangeant la table du souper ! C’est grâce à ce genre d’initiative que mes enfants sont devenus de grands mélomanes. »
Il y a cependant un certain type de musique que Brigitte ne peut plus écouter, comme le metal : « Cela me ramène à cette tristesse que j’avais. La musique a un grand pouvoir sur les émotions ! Elle peut me transporter, m’enlever de ma tristesse, me donner de la joie. Quand je travaille, quand je fais du ménage, j’écoute de la musique ! Cependant, j’ai parfois besoin de silence total, et je fais une retraite en silence une ou deux fois par an. »
La musique joue un rôle également quand elle est triste. « Quand vient la tristesse, je suis vraiment très triste ! Chez moi, c’est aussi une porte d’entrée pour le combat spirituel. Le meilleur remède est de faire des prières de louange en chantant. J’offre cette tristesse à Dieu. Souvent, au bout de quelque temps, il va faire la lumière sur ce que je suis en train de vivre : un péché, ou bien une blessure qui a besoin d’être reconnue. »
Que ce soit grâce à des vinyles 33 tours, des disques ou sur YouTube ou Spotify, la musique éclectique qu’écoute Brigitte lui rappelle ce souffle de vie qui lui a été offert, un soir, en cadeau de Dieu. Solange Pinilla
Lire le reste du dossier "Quand la musique sauve", dans Zélie n°99 - Octobre-Novembre 2024
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