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Charlotte de Belgique, impératrice du Mexique




« Monsieur, la mort approche », se dit à elle-même l’impératrice Charlotte, se prenant pour deux personnes, dans les ténèbres de sa démence, cloîtrée au château du Bouchout, non loin de Bruxelles, au commencement des années 1920.


Rien n’aurait pu laisser présager ce destin tragique, le 7 juin 1840, lorsque naquit dans la démocratique Belgique. Charlotte de Saxe-Cobourg, quatrième enfant du roi Léopold et de son épouse Louise, fille du roi des Français Louis-Philippe Ier. Les premières années, Charlotte grandit entre Bruxelles et la France. Elle fréquente aussi la cour d’Angleterre, dont son père est proche.


Charlotte est éduquée de manière stricte. Les journées sont rythmées par les enseignements sur l’histoire du monde, les sciences naturelles, la conduite des États et l’instruction religieuse. Lorsque la révolution de février 1848 menace la plupart des cours européennes, la royauté belge semble étonnement stable. En octobre 1850, la mère de Charlotte, Louise, trépasse.


Le roi Léopold, mesurant les qualités de sa fille, l’une des plus brillantes princesses d’Europe, songe à la marier dès ses 16 ans. En mai 1856, elle rencontre l’archiduc Maximilien de Habsbourg, frère de l’empereur François-Joseph, amiral de la flotte autrichienne, âgé de 24 ans à peine et de passage à Bruxelles, sur les conseils de Napoléon III après une visite diplomatique en France. Cette entrevue a fait impression à Maximilien, mais Léopold, hésite sur le parti à prendre, songeant à Pedro V de Portugal pour sa fille. Le refus de sa fille oriente le choix vers Maximilien. Le mariage est célébré le 27 juillet 1857.


Malgré le caractère politique et pécuniaire de l’union, les deux époux s’éprennent l’un de l’autre. Après la présentation de l’archiduchesse Charlotte à la cour de Vienne, le couple part pour l’Italie du Nord, où Maximilien a été nommé gouverneur général par son frère. Ici, le couple s’affirme dans sa complémentarité. Maximilien gouverne de main de maître, secondé par Charlotte qui reçoit, écoute, visite, s’intéresse à tout et soulève les sympathies. Elle est une « souveraine » sans le titre.


La guerre contre le royaume de Piémont et la France fait rage ; François-Joseph, jaloux dit-on des succès politiques de son frère, l’a placé sous la tutelle du commandement militaire. Enfin, en 1859, le Milanais étant définitivement perdu, Maximilien se retire. Le couple s’installe sur les bords de l’Adriatique, au château de Miramar, qu’il a acquis et aménagé selon ses goûts.


Durant l’automne 1861, Charlotte et Maximilien reçoivent le comte Rechberg, ministre autrichien des affaires étrangères. Celui-ci, messager indirect des ambitions françaises, propose au couple de fonder un nouvel empire au Mexique.


Le Mexique, fragile république soumise aux pronunciamientos (coups d’états) militaires, très endetté auprès de la France, du Royaume-Uni et de l’Espagne, a été un empire de manière éphémère quelques décennies auparavant. Nombre d’aristocrates mexicains conservateurs considèrent que le rétablissement de l’empire serait la voie du salut, et d’une plus grande préservation de leurs intérêts face au très démocrate et anticlérical président Juarez.


Après des hésitations, une renonciation arrachée à ses droits pour l’avenir sur le trône autrichien, et une tournée de cours européennes pour s’en assurer le soutien, Maximilien accepte l’offre qui lui est faite et s’embarque pour le Mexique, avec Charlotte, en mai 1864.


Le nouvel empire est occupé par les troupes françaises du général Bazaine. Malgré cet appui particulier, le couple impérial est acclamé. Maximilien et Charlotte font tout pour se faire apprécier de leurs sujets. L’un comme l’autre ne s’expriment plus qu’en espagnol, déploient un faste qui impressionne et entament un programme de réformes, dont les axes majeurs sont le développement des routes du pays et l’amélioration du sort des Indiens. Lorsque Maximilien part en tournées d’inspection, Charlotte exerce la régence avec un talent de chef d’État, dynamique et ferme. (Le portrait ci-dessus date de cette époque.)


Malgré des lettres enflammées, le couple se lézarde. Dans ses absences, Maximilien semble avoir rencontré de jeunes Indiennes, et Charlotte, sans se plaindre ni rien laisser paraître, a cultivé une passion platonique pour Loysel, officier français attaché au gouvernement impérial.


L’intense activité de Charlotte et Maximilien ne permet pas, cependant, d’établir un empire solide. De plus, la guerre de Sécession terminée, le gouvernement des Etats-Unis fait savoir à la France qu’il ne tolérera pas d’empire sur le continent. Napoléon III, affaibli dans sa propre opinion publique, ordonne le retrait progressif de ses forces dès le début de 1866.


Maximilien envoie Charlotte en Europe pour y recueillir les soutiens de Napoléon III, qui doit revenir sur sa décision de retirer les troupes françaises, et celui du pape Pie IX, dont l’appui permettrait de rallier les conservateurs mexicains. Charlotte s’embarque en juillet 1866. Arrivée à Paris, mal reçue d’abord par le couple impérial français, elle n’obtient rien de leur part.


Quelques signes laissent percevoir un chavirement de sa raison, épuisée par la pression politique et brisée par l’échec conjugal. Ces premiers signes s’expriment par le délire de persécution et la certitude de l’empoisonnement. Les cours de Vienne et de Bruxelles se mettent d’accord pour interner Charlotte à Miramar, sous la surveillance du comte de Bombelles, ami d’enfance de Maximilien. L’empereur, de son côté, continue la lutte pour la pacification de l’empire. Vaincu par les troupes républicaines de Juarez soutenues par Washington, Maximilien est fusillé le 13 juin 1867.


Charlotte ne l’apprend que six mois plus tard, arrivée en Belgique chez les siens, sur l’ordre exprès de son frère, devenu le roi Léopold II et de sa belle-sœur, la reine Marie-Henriette. à Miramar, Charlotte était maltraitée par Bombelles, qui s’était révélé un véritable geôlier.


En Belgique, où l’impératrice est logée et accompagnée selon son rang, son état de santé s’améliore, et les contours d’une vie normale semblent réapparaître. Mais ce n’est que pour sombrer plus rapidement dans une démence totale, où l’impératrice connaîtra le dédoublement de personnalité, écrira des lettres fleuves, jamais envoyées, dans lesquelles, malgré la folie, elle montre une profonde vision politique.


Enfin, la vie répétitive et cloîtrée prend le dessus, avec ses crises d’angoisse, ses craintes d’empoisonnement, et ses phases de douceur où Charlotte reçoit avec affabilité les membres de sa famille. La première guerre mondiale perturba à peine le rythme régulier de cette vie, et c’est sans un bruit qu’elle s’éteignit le 17 janvier 1927. Gabriel Privat



Crédit image : Albert Gräfle/Wikimedia commons CC


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