Choisir la vie quand on a perdu son frère
Dans l'existence, faire un choix, c’est aussi parfois consentir au réel. Le témoignage émouvant d’Amélie Roullier (photo) nous le montre.
Zélie. Pouvez-vous nous raconter dans quelles circonstances votre frère est décédé ?
Amélie Roullier. Dominique est mort le 27 décembre 2015 dans un accident de voiture familial. J’ai appris sa mort plusieurs heures après l’événement, sur Facebook, avant que cela soit confirmé par ma mère quelques minutes plus tard. Le choc a été énorme. Nous nous sommes retrouvés en l’espace de quelques heures au chevet de deux personnes de la famille qui étaient hospitalisées, tout en devant gérer le retour du corps de Dominique.
Par quelles étapes émotionnelles êtes-vous passée dans votre chemin de deuil ?
Le deuil est le lieu de nombreuses émotions qui s’expriment de manière très variable : pleurs, isolement, abattement... Au-delà de la tristesse abyssale, j’ai été marquée par la colère que j’ai ressentie. Je l’ai dirigée contre Dieu, j’attendais de lui une réponse à la question « Comment faire ? ».
Il y a eu également de longues périodes douloureuses, où j’avais une profonde envie de joie et de légèreté. Cependant toute émotion positive me donnait l’impression de trahir Dominique : avais-je vraiment le droit d’être heureuse alors qu’il était mort ? Pourtant, au fur et à mesure des années, j’ai réappris à apprécier ma vie et à profiter de ce qu’elle m’offrait. La paix est revenue.
Comment traverser cette période alors que l’on est en train de construire sa vie de jeune femme ?
Je retiens de mon deuil plusieurs choses qui se sont révélées être assez universelles. La première chose est de consentir au temps du deuil. Nous vivons dans une société où il faut aller vite. Or, lorsque le deuil s’invite, la lenteur s’invite avec. On peut choisir de lutter ou, au contraire, de faire siennes les paroles de la Bible : « Il y a un temps pour tout ».
La deuxième chose est d’accueillir ses émotions. Une émotion refoulée, c’est comme une plaie mal soignée : de l’extérieur, tout va bien – de l’intérieur, c’est une catastrophe. Il ne faut pas hésiter à aller se faire aider par une personne extérieure à la famille. En effet, dans ce genre de situation, l’entourage souffre et n’est pas toujours le meilleur soutien, encore plus quand le deuil est tabou. Rejoindre un groupe d’échange peut être aussi d’une grande aide.
Enfin, nous sommes incarnés, le deuil nous touche corps et âme. Si l’on peut avoir besoin de lieux de consolation spirituels, il est indispensable de prendre soin de notre corps. Faire du sport, bien manger, se reposer est aussi essentiel que de trouver des espaces de prière, d’écoute et d’expression.
Peut-on encore savourer la vie quand on a un frère décédé ?
Aujourd’hui, je peux vous répondre que oui, mais cela n’était pas le cas au début. Les premières années, j’étais tiraillée entre la joie de voir mes proches heureux et la profonde tristesse qui m’entravait pour avancer dans ma propre vie. J’ai appris peu à peu à me reconnecter à des émotions positives, à faire la part des choses entre ce qui était juste pour moi et ce qui était de l’ordre de l’injonction sociétale. Aujourd’hui, j’ai plus de facilité à danser sous la pluie – je vis autrement les difficultés que je peux traverser !
Avez-vous senti un choix à faire à certains moments : « Choisis la vie » (Dt 30, 19) ?
Oui, indéniablement ! Le deuil nous plonge dans une incommensurable douleur. Je ne me souviens pas avoir eu envie d’en finir tout court, mais d’en finir avec la douleur, oui ! à ces moments-là, la foi m’a aidée. J’ai aussi pu m’appuyer sur des difficultés antérieures où j’avais choisi la vie à tout prix. Cela voulait dire se battre contre les vagues de désespérance ou de découragement.
Choisir la vie, c’est aussi consentir au réel : accepter d’être déçue parfois ou incomprise par l’entourage, apprendre à s’appuyer sur les personnes qui nous relèvent au lieu de s’apitoyer, ou encore accueillir sa propre vulnérabilité comme un espace de relation fort et précieux.
Auriez-vous un conseil pour l’entourage d’une personne qui a perdu un membre de sa famille proche ?
Être présent dans une posture d’écoute, sans chercher à tout savoir, ni à conseiller. Bannir les phrases toutes faites au profit d’un « Comment te sens-tu aujourd’hui ? ». Frère, sœur, père ou mère, tous nous souffrons. La comparaison de nos souffrances attise la douleur. Cette expérience m’a amenée à me former et à créer mon activité d’accompagnement du deuil. Au-delà de cette épreuve, j’ai choisi la vie ! Propos recueillis par Solange Pinilla
Pour en savoir plus > linktr.ee/amelie.roullier
Lire le reste de Zélie n°98 - Septembre 2024 sur le thème de "Discerner et faire des choix"
Photo © Gaëlle Bizeul
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