Education : 5 idées méconnues sur la lecture

Michel Desmurget, neuroscientifique, a épluché toutes les études sur la lecture. Bilan : aucun loisir ne propose un nombre de bienfaits aussi important. Lire, tout particulièrement chez l’enfant et l’adolescent, développe l’intelligence, mais aussi l’empathie et les habiletés sociales, comme le montre son passionnant livre Faites-les lire ! aux éditions du Seuil.
1 Lire, ce n’est pas décoder. Il ne suffit pas de déchiffrer pour savoir lire. Lire, c’est comprendre ce qu’on lit. Et pour comprendre, il faut connaître le sens des mots. Si l’on retire quelques mots-clés d’un texte, on perd le sens global de celui-ci. Seule une quantité de lecture suffisante - 20 minutes quotidiennes peuvent suffire - permet, grâce au contexte, d’apprendre sans cesse de nouveaux mots. Un autre moyen enrichit considérablement le vocabulaire de l’enfant : la lecture partagée.
2 La lecture partagée, un levier sous-estimé. Il est fréquent que les parents lisent des histoires à leur enfant, puis, lorsque celui-ci sait lire - entendez « déchiffrer » -, ils pensent qu’il n’a plus besoin d’entendre des récits. Or, un adulte qui lit à voix haute permet à l’enfant d’entendre un très grand nombre de mots, et c’est ce corpus qui va lui permettre d’enrichir son vocabulaire, d’autant que l’adulte peut expliquer les mots inconnus. « Un enfant de 1 à 5 ans qui, chaque jour, bénéficie de la lecture d’un livre d’images aura entendu plus d’un million de mots quand il entrera au CP, souligne Michel Desmurget. Parmi ces derniers, 17 500 seront dits rares. »
Si un enfant dit qu’il n’aime pas lire, commencer avec lui la lecture d’ouvrages à voix haute, régulièrement, et même quand il a 10 ans ou plus, est une idée souvent efficace pour lui donner envie de continuer. De fait, il ne s’agit pas de culpabiliser les parents, mais bien de leur suggérer des pistes pour faire entrer davantage la lecture dans le quotidien - ce que fait aussi l’initiative « Silence, on lit ! », une lecture silencieuse générale à l’école ou ailleurs (voir l’article « 15 minutes pour lire chaque jour », Zélie n°74, page 14).
3 Un livre pour enfant a un vocabulaire plus riche qu’une conversation orale. Même un album pour enfant de 2 à 3 ans a une diversité des mots plus importante (on y trouve « jubile » ou « cocasse ») qu’un échange à voix haute au quotidien, même entre adultes. Le langage écrit est un monde en soi, assez différent de l’oral, et contient une richesse verbale importante : phrases aux tournures complexes, mots rares... A ce titre, lire, c’est presque parfois apprendre une autre langue, surtout lorsqu’on aborde des textes un peu plus complexes qu’une recette de cuisine.
C’est pour cela que vers la fin du primaire, beaucoup d’enfants décrochent de la lecture pour le plaisir, car la marche vers des romans un peu plus longs est trop haute à monter. C’est ce que les éducateurs américains appellent the fourth-grade slump, la « dégringolade du CM1 ».
A noter : il existe une fenêtre optimale de plasticité cérébrale entre 18 et 24 mois ; ainsi 20 à 25 % des différences observées chez des enfants de 11 ans au sujet de leurs compétences intellectuelles et langagières peuvent être expliquées par les disparités du nombre de conversations en famille, avec l’enfant, pendant cette brève période de la petite enfance. Plus généralement, les premières années pèsent lourd dans le développement du langage.
4 La fiction est la lecture la plus bénéfique. Au niveau du vocabulaire, les journaux et la fiction sont les plus riches – les journaux parce qu’ils utilisent beaucoup de termes spécialisés. En effet, les romans contiennent 12 % de termes ne faisant pas partie de cinq mille mots les plus utilisés, les journaux 16 %. Les bandes dessinées ont généralement un vocabulaire plus restreint.
Pour ce qui est de l’intelligence émotionnelle, force est de constater que c’est la fiction qui la développe le plus par rapport aux autres écrits : seul un roman peut faire entrer, avec force et finesse, dans l’esprit et les émotions d’un personnage. Il permet également de mieux comprendre le monde et les interactions sociales.
5 Lire rend plus intelligent. La lecture augmente le QI (quotient intellectuel), et particulièrement la capacité à comprendre et s’exprimer, qui peut varier pendant l’enfance et l’adolescence. « La lecture partagée fait passer l’intelligence verbale de l’enfant, telle qu’elle peut être mesurée à partir de tests standardisés comme le QI, de 100 à 111 », affirme Michel Desmurget. A l’inverse, l’usage d’écrans récréatifs à haute dose, qui, on le sait, n’a cessé d’augmenter, ne permet pas d’entrer dans cette nuance des mots et cette compréhension du monde.
Lire ensemble, encourager la lecture, quantifier à la baisse le temps d’écran récréatif : autant de pistes pour entrer dans ce monde littéraire où l’on vit mille vies. Solange Pinilla
Quels ouvrages lire ?
Une fois convaincus des immenses bénéfices de la lecture, encore faut-il savoir quels livres proposer à ses enfants ou ses élèves. Valérie d’Aubigny, qui pilote 123Loisirs, un site de recommandations de livres jeunesse, est l’un des auteurs du très utile guide Une bibliothèque idéale. Que lire de 0 à 16 ans ? chez Critérion (lire aussi notre article « 4 pistes pour donner envie de lire aux jeunes », Zélie n°35, page 13). Une édition revue et augmentée est parue en 2024. Valérie d’Aubigny a également publié le livre Donner le goût de la lecture aux enfants (Artège) rempli de conseils pratiques, tels que ne pas donner certains livres trop tôt, ce qui nuirait à l’émerveillement qu’auraient suscité ces œuvres lues au bon moment, c’est-à-dire plus tard.
Littérature jeunesse de qualité : une nouvelle librairie en ligne
En 2024, Claire de Pracomtal a créé Verty, un site sur lequel on peut commander des livres pour enfants et adolescents, classés selon l’âge, le genre littéraire mais aussi les vertus portées par ces ouvrages - par exemple, l’ingéniosité, la confiance ou le courage. Pour chaque livre, un avis est donné par un membre du comité de lecture composé d’une institutrice, d’une psychologue, d’une orthophoniste ou encore de parents et grands-parents.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de lancer Verty ?
« Les petites Filles modèles de la Comtesse de Ségur », a répondu notre grand-mère lorsque nous lui avons demandé ce qui l’a guidée tout au long de sa vie pour faire les bons choix. Une conviction profonde en a émergé : la nécessité d’offrir aux enfants des contenus qui nourrissent leur esprit, ancrés dans des valeurs fortes et authentiques. Moi-même maman, j’ai voulu créer un espace de confiance, où chaque lecture serait soigneusement sélectionnée pour aider les plus petits à grandir en harmonie avec des repères solides et intemporels.
Sur quels critères sélectionnez-vous ces livres ?
Notre matrice vertueuse est une boussole créée pour garantir que chaque livre sélectionné par notre comité de lecture et proposé sur la plateforme Verty est à la hauteur des valeurs que nous souhaitons transmettre. Elle repose sur 4 grands piliers : les qualités linguistiques et esthétiques, l’ancrage et l’optimisme. Nous voulons que les enfants ressortent de chaque histoire grandis, confiants et inspirés.
Deux récents coups de cœur de lecture jeunesse ?
Les enfants Boxcar de Gertrude Chandler Warner, aux éditions Novel. Une découverte, alors qu’il s’agit d’un best-seller aux Etats-Unis depuis les années 1940. L’écriture est accessible pour les 8-10 ans et le ton positif pour dépeindre les aventures de ces orphelins débrouillards, bienveillants et soudés.
Quand on est au milieu d’Anika et Christopher Denise, aux éditions Kaléidoscope. Idéal dès 2-3 ans. Les illustrations sont très douces et le texte tendre va à l’essentiel pour présenter de manière bienveillante les fratries et la « place du milieu », certes pas facile mais non moins précieuse.
Propos recueillis par S. P.
(Photo © Adobe Stock)
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