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Élisabeth Vigée Le Brun et sa fille Julie


Cet article est extrait de Zélie n°89 - Novembre 2023 : "Avec les mamans solos".



Le nom d’Élisabeth Vigée Le Brun reste, aux yeux de la postérité, indissociablement lié aux portraits pleins de fraîcheur et de grâce de la reine Marie-Antoinette.


Mais on oublie trop souvent que la vie de la peintre, loin de ressembler à l’univers idéal de ses tableaux, fut plutôt une fresque en clair-obscur, avec des moments de grand bonheur tout autant que des périodes extrêmement difficiles, en particulier sur le plan de sa vie privée, malheur qu’elle compensa par une tendresse infinie pour sa fille. Ainsi, ne peut-on pas considérer Madame Vigée Le Brun comme une figure particulièrement inspirante pour les mamans solos d’aujourd’hui ?


Élisabeth Vigée Le Brun est âgée d’à peine quinze ans lorsqu’elle se lance dans la carrière dont elle a toujours rêvée : celle de peintre portraitiste. Déterminée et passionnée, elle est résolue à vivre de son art, à la suite de son père pastelliste, décédé lorsqu’elle avait douze ans.


C’est probablement une des raisons qui motive son mariage en 1776 avec Jean-Baptiste-Pierre Le Brun, marchand et restaurateur de tableaux. L’union lui avait pourtant été déconseillée par son entourage, et avec raison : son mari se révèle être volage et joueur, et de plus, il garde pour lui les sommes gagnées par le travail de sa femme, si bien qu’elle ne dispose en réalité que d’une infime partie de son salaire. Pourtant, nommée peintre officiel de Marie-Antoinette en 1778, et reçue à l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture en 1783, elle gravit rapidement les plus hauts échelons de son art.


En 1780, naît un enfant de ce mariage malheureux. La naissance, d’ailleurs, révèle à quel point Élisabeth est tout entière vouée à son travail, puisqu’elle raconte bien des années plus tard dans ses mémoires, en 1835 : « Le jour de la naissance de ma fille, je n’ai point quitté mon atelier et je travaillais à ma Vénus qui lie les ailes de l’Amour, dans les intervalles que me laissaient les douleurs ».


Désormais, Madame Vigée Le Brun reporte sur sa fille Julie tout l’amour dont son couple est privé. De cet amour maternel inconditionnel naissent alors de véritables prodiges picturaux : les deux autoportraits de la peintre avec sa fille, respectivement datés de 1786 et 1789 (ci-dessus et ci-dessous respectivement), et tous deux conservés au musée du Louvre.



S’ils sont tout à fait révélateurs du regain d’intérêt de leur époque pour la période de l’enfance, à la suite des écrits de Rousseau, ils sont également extrêmement novateurs par leur spontanéité, ainsi que par la tendresse et la sincérité qui s’en dégage. Le choix des couleurs, des tons doux et des expressions subtiles est tout au service de cette immortalisation d’une relation mère-fille sans nuages. L’artiste va même jusqu’à suggérer les dents de leurs doux sourires, ce qui ne se faisait jamais, les dentistes étant alors bien moins habiles que de nos jours...


Le sentiment maternel acquiert dans ces tableaux un caractère universel, alors qu’il était jusqu’alors cantonné aux représentations de Vierge à l’Enfant. « La tendresse naturelle, ce sentiment délicat, cette douce affection de l’âme, est rendue avec un art si admirable que le tableau peut être comparé à ce que les plus grands maîtres de l’École d’Italie ont produit de plus sublime », écrit un critique de L’Année littéraire.


Lorsque la Révolution éclate, Élisabeth Vigée Le Brun, monarchiste et amie proche de la reine, s’enfuit avec ce qui est le plus précieux à ses yeux : sa fille, bien sûr. Ensemble, elles traversent l’Europe en faisant étape dans les cours européennes qui leur ouvrent leurs portes : Rome, Florence, Venise, Vienne, mais aussi et surtout Saint-Pétersbourg — Élisabeth considère d’ailleurs la Russie comme sa seconde patrie. On peut imaginer le courage et la persévérance que dut demander cette vie errante à la peintre, à la fois accomplie dans son art et dans sa maternité.


En parallèle, son mari, favorable aux idées révolutionnaires, est resté à Paris. Ruiné par l’écroulement du marché de l’art, il brade son fond de tableaux en 1791... et obtient en 1794 le divorce pour préserver les biens qui lui restent. Ironie du sort, il est chargé par le nouveau gouvernement de choisir les œuvres saisies pour constituer les collections nationales ; c’est donc par son action que le portrait de sa femme et de sa fille réalisé en 1789 intègre le musée du Louvre.


Malheureusement, la si belle relation entre Élisabeth et sa fille se dégrade lorsqu’en 1799, Julie épouse contre l’avis de sa mère le directeur des Théâtres impériaux russes, Gaëtan-Bernard Nigris. Leur mariage, d’ailleurs, ne dure pas et la jeune femme meurt dans la misère en 1819. Du moins Julie reste-t-elle éternellement, pour l’historien d’art, le modèle juvénile si charmant puis si gracieux des portraits signés par sa mère. Sa mère qui, de sa vie de couple malheureuse et de son amour maternel si fort, sut produire des chefs-d’œuvre inoubliables.


Victoire Ladreit de Lacharrière, diplômée en histoire de l’art et portraitiste


Photos Wikimedia commons



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