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Gali Hagondokoff, héroïne militaire



Cet article est extrait de Zélie n°93 - Mars 2024, à découvrir gratuitement.



Témoin d’un XXe siècle de fer et de feu, Gali Hagondokoff a traversé son époque avec une distinction et un courage inflexibles, ainsi que le raconte Guillemette de Sairigné dans la biographie La Circassienne (Robert Laffont).


Née en 1898 dans une famille princière russe du Caucase, elle est la fille de Constantin, brillant officier de cavalerie, et d’Élisabeth, aristocrate russo-polonaise timide et qui se révélera d’une volonté d’acier dans l’épreuve révolutionnaire. Deuxième enfant du couple, elle est suivie encore par six frères et sœurs.


Dans l’enfance, elle suit son père, avec toute la famille, en Sibérie sur les bords du fleuve Amour, puis dans le Caucase, et enfin à Saint-Pétersbourg, au rythme des affectations de l’officier. Éduquée un temps au sein de la prestigieuse institution Smolny, réservée aux filles de la plus haute aristocratie russe, Gali se sent elle-même dans le domaine circassien des Hagondokoff, où elle peut monter à cheval à son aise et multiplier les excursions.


Quand les surprend la Première guerre mondiale, à Kislovodsk, ville balnéaire du Caucase où les Hagondokoff se sont installés, Gali et sa sœur aînée Nina s’engagent à l’hôpital où on leur confie de menues tâches, avant de servir comme infirmières. Gali se mesure pour la première fois aux horreurs de la guerre, et lorsque finissent les gardes à l’hôpital, elle s’enfuit en escapades à pied ou à cheval entourée de ses amis, ou bien sort en ville, goûtant à une liberté à laquelle l’avant-guerre ne l’avait pas préparée.


Arrive fin 1916 un jeune officier de la garde, blessé gravement à la tête, Nicolas Petrovitch Bajenoff. L’amour enflamme Gali et Nicolas, en même temps que la révolution abat le régime impérial et déstabilise la Russie en guerre. Durant l’été 1917, Gali suit Nicolas à Petrograd où il a rejoint son régiment malgré son invalidité suite de sa blessure.


Enceinte, elle demande à épouser Nicolas Bajenoff. Constantin et Élisabeth redoutent cette union rapide avec un officier dont ils ont appris qu’il était mal vu de ses supérieurs, caractériel et indolent, mais ils ne peuvent que s’incliner. Marié en septembre, le couple reste à Petrograd, où il va assister, impuissant, à la révolution bolchevique.


Le couple s’enfuit, traverse toute la Russie vers le Caucase, terre familiale des Hagondokoff. Malgré le froid et la misère, Gali et Nicolas parviennent à Kislovodsk, où la jeune femme accouche d’un garçon, qui sera surnommé Nicky.


L’effondrement des armées blanches semble consommé en Russie méridionale, et les Bajenoff partent en Mandchourie, puis pour Shanghai. Là, Gali et Nicolas jouissent de la paix retrouvée, mais les dissensions du couple, qui avaient été effacées dans l’épreuve, éclatent au grand jour. Les disputes sont fréquentes, Nicolas révèle ses plus mauvais côtés et Gali finit par demander et obtenir le divorce, des autorités ecclésiastiques orthodoxes de Vladivostok.


Femme célibataire, avec Nicky à sa charge, elle travaille dans divers magasins de mode et développe son réseau d’amis européens, au milieu desquels elle brille par son élégance et sa conversation, malgré ses faibles revenus. Ayant appris que les Hagondokoff ont finalement trouvé refuge à Paris, elle s’embarque avec Nicky, pour une traversée de deux mois, qui va la conduire à travers le Pacifique jusqu’aux États-Unis, puis en France.


Là, Gali Hagondokoff retrouve les siens, s’intègre parfaitement dans la communauté des Russes blancs à laquelle elle est attachée, mais cherche aussi du travail. Par relation, elle entre à la maison Chanel comme mannequin (la photo ci-dessus date de cette époque), puis dès 1926 reçoit la direction de la boutique des Parfums de Rosine, à Deauville, sous la houlette du grand couturier et parfumeur Paul Poiret. C’est là qu’en 1928, entre dans sa vie Ladislas du Luart. Gali rêve de mariage, quand Ladislas, pour l’heure, souhaite préserver sa liberté de célibataire.


En 1929, c’est le retour de Gali à Paris, qui a racheté la maison Paul Caret, rebaptisée Elmis. En 1932, avec la crise économique, elle revend sa maison de mode et se lance dans la décoration d’intérieur. Mais son objectif principal demeure le mariage avec Ladislas, dont elle parvient à obtenir qu’il lui demande sa main en 1934, peu après les émeutes du 6 février où le jeune aristocrate a vu la mort de près et senti qu’il était temps de se fixer. Elle se fait passer pour veuve, et se convertit au catholicisme, en vue du mariage célébré durant l’été.


En quelques mois, Gali, devenue Leïla du Luart, devient la vedette des salons aristocratiques parisiens. La vie est douce entre le 16e arrondissement et la Sarthe.


Mais en 1936, alors qu’éclate la guerre civile espagnole, la comtesse du Luart voit renaître dans sa mémoire tous les fantômes enfouis du bolchevisme et de la terreur qui déchira ses vingt ans. En quelques mois, avec l’aide financière de tous les cercles d’amis aristocratiques qu’elle s’est constituée, elle met au point un système d’ambulance mobile d’un genre nouveau, qui permettra d’amener les soins chirurgicaux les plus fondamentaux jusque sur la ligne de front. Cette innovation est mise au service de la Croix rouge espagnole et donc principalement du camp nationaliste.


La guerre civile terminée au printemps 1939, c’est la Seconde guerre mondiale qui éclate peu après. Cette fois avec le soutien de ses contacts américains, Leïla recrute des volontaires outre-Atlantique, récolte des fonds plus importants et monte une unité chirurgicale mobile sur le front, dans le secteur nord-est, non loin de Sedan. Son unité participera ainsi à la campagne de mai-juin 1940.


Leïla, en septembre 1940, est décorée par le général Weygand de la Légion d’Honneur et de la Croix de Guerre. Mais pour elle, le combat n’est pas terminé. Elle demande et obtient du général Weygand le transfert de son unité chirurgicale en Algérie, où elle propose de soulager le sort des internés - opposants au régime, apatrides, juifs, étrangers... -, commis à la construction de la ligne ferroviaire transsaharienne.


C’est là-bas que peu à peu, elle se rallie totalement à l’idée de la France Libre. Lorsqu’en novembre 1942, le débarquement allié en Afrique du Nord permet aux armées françaises de reprendre le combat contre les Allemands, la formation chirurgicale mobile de Leïla du Luart remonte vers le front, en Tunisie, puis en Italie dès 1943, où elle suivra la campagne du corps expéditionnaire français jusqu’au bout, avant de continuer son service en France, sur le front des Vosges et d’Alsace, et enfin en Allemagne. Celle qui entre temps a accepté de devenir la marraine du 1er régiment étranger de cavalerie (REC), remonte les Champs Élysées sur son Command Car, le 14 juillet 1945.


Un peu plus tard, le grand malheur de la mort de son fils la frappe. Anéantie, c’est dans son rôle de marraine du 1er REC, puis dans son action en Algérie, qu’elle retrouve sa joie de vivre. En effet, avec les événements d’Algérie qui conduiront à l’indépendance, Leïla s’engage de nouveau, cette fois non plus avec une formation chirurgicale mobile, mais en fondant un foyer d’accueil pour les soldats permissionnaires nécessiteux ou isolés. C’est le Bastion XV, à Alger, vue sur le port, qui accueille plus de 100 000 permissionnaires jusqu’à la fin de la guerre, pour des séjours d’une semaine à chaque fois.


Après l’indépendance algérienne, Leïla se concentre notamment sur le soutien indéfectible de son mari, Ladislas, rentré en politique en 1964, élu maire, conseiller général et sénateur dans la Sarthe. La mort de son époux est une nouvelle cassure dans sa vie en 1980, mais ce n’est que le 21 janvier 1985, à Neuilly, que Leïla du Luart rend l’esprit, entourée des Hagondokoff.


Elle reçoit des obsèques militaires aux Invalides, en présence de nombreux officiers généraux, d’un escadron du 1er REC, de personnalités religieuses et politiques, avant de rejoindre sa dernière demeure au cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois. Gabriel Privat



Photo Wikimedia commons

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