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Hélène Machelon, l’aventure de l’adoption



Avec son mari, Gilles, Hélène Machelon a adopté trois enfants : Paul, qui a 20 ans aujourd’hui, au Vietnam ; Capucine, 16 ans actuellement, au Vietnam également ; et Olivia, 9 ans, au Mexique. Elle répond à nos questions sur ce parcours long et difficile avant la rencontre de l’enfant. Mais aussi sur la joie de former une famille à la fois particulière... et comme les autres.



Zélie : Quand vous est venue pour la première fois l’idée d’adopter un enfant ?


Hélène Machelon : Nous avons d’abord eu un enfant biologique, Jeanne. Elle est décédée à l’âge de quelques mois, en raison d’une anomalie génétique qui la privait de défenses immunitaires. J’ai raconté son histoire dans le livre Envolée (Mame). On nous a annoncé, à mon mari et moi, que nous avions un risque sur quatre que nos enfants naissent avec ce grave problème de santé.


Nous avons alors décidé de ne pas avoir d’autres enfants biologiques, afin qu’ils ne portent pas le poids de la souffrance. A ce moment-là, donc dès la maladie de Jeanne, nous avons pensé à l’adoption. En fait, je n’envisageais pas la vie sans enfant. L’adoption a été ma bouée pour survivre ! C’était un désir très fort. Si bien que lorsque mon fils Paul entendait des moqueries en cour de récréation sur le fait qu’il avait été adopté, il a répondu un jour : « Au moins, je suis certain d’avoir été désiré. »


Pourquoi avoir choisi l’adoption internationale plutôt que française ?


Nous ressentions le besoin que nos enfants nous ressemblent le moins possible, d’aller vers quelque chose d’inconnu... Surtout, nous étions jeunes - 25 ans - et nous avions les moyens d’aller à l’étranger : les services sociaux nous ont dit que nous avions le profil international.


Nous avons d’abord adopté Paul, 2 ans, au Vietnam, en passant un mois sur place ; il a 20 ans maintenant. Ensuite, nous sommes devenus parents de Capucine, 2 ans, au Vietnam aussi ; elle a 16 ans. Puis, alors que nous habitions au Mexique et que nous pensions adopter un enfant plus grand - en âge d’être en CP -, on nous a proposé d’accueillir une petite fille de 6 mois, Olivia ! C’était plus compliqué pour nous, car nous redoutions de veiller sur un bébé après avoir vécu le décès de notre fille aînée, Jeanne.


Nous avons eu la chance de vivre, pendant l’adolescence des deux grands, dans leur pays d’origine, le Vietnam. Cela leur a d’ailleurs permis de voir que, contrairement à une illusion souvent présente chez les enfants adoptés, l’herbe n’est pas plus verte ailleurs. Rien ne les attendait sur place... Ils se sentaient davantage Français que Vietnamiens !


Même si nous avons deux enfants de type asiatique et une fille mexicaine à la peau foncée, des mimétismes se sont créés, et nous nous ressemblons finalement. Il m’est même arrivé de demander à une amie : « Est-ce que cela se voit, que mes enfants ont été adoptés ? » ; elle m’a répondu : « Oui, évidemment ! » Souvent, je ne le vois même plus. Pour nos enfants aussi, l’adoption n’est pas un sujet, elle est naturelle.


Combien de temps a duré votre parcours jusqu’à l’adoption de vos enfants ?


Pour nos trois enfants, nous avons vécu en tout 20 ans de procédures souvent usantes. Cela ne s’est jamais arrêté ! D’abord, il y a eu la demande d’agrément auprès des services sociaux, qui ont le rôle de vérifier qu’on ait le cœur suffisamment « bien accroché » pour vivre cette aventure de l’adoption ; cela dure 9 mois à un an. Puis un jour, l’association nous confie un enfant... ou non. Cela prend plusieurs années, au moins 5 ans en général ! L’âge des parents au moment de l’adoption recule : c’était 38 ans à mon époque, et 41 ans aujourd’hui - ce qui complique la possibilité d’une fratrie.


Comment s’est déroulée la rencontre avec vos enfants ?


Il s’agissait de pays très différents, avec pas du tout le même rapport à l’enfant. Pour Capucine au Vietnam - pays communiste -, les membres de l’orphelinat avaient peur qu’on ne l’accueille pas, donc ils nous ont fait signer les papiers d’adoption avant la rencontre. Puis ils nous l’ont mise dans les bras. Mon mari était le premier homme qu’elle voyait, étant donné que tout le personnel de l’orphelinat était féminin ! Rapidement, nous nous sommes retrouvés dans le taxi avec elle... Elle a hurlé pendant trois jours.


Avec Olivia, c’était très différent. Le Mexique est un pays très chrétien ; à l’orphelinat, les enfants étaient choyés. Nous sommes venus avec des amis et nous nous sommes installés dans une salle. Quand on nous a confié ce bébé de 6 mois, cela a eu lieu sous les acclamations des amis, en la soulevant un peu comme dans Le Roi Lion ! Un quart d’heure après, elle dormait dans mes bras...


Dans cette aventure de l’adoption, quelle est votre plus grande joie ?


C’est le sentiment de faire famille, d’être plus féconds qu’on ne l’aurait cru. C’est une joie plus globale que les liens du sang. Et puis, il y a eu d’autres joies nombreuses : la réception de l’agrément ; la rencontre avec nos enfants - même si tout ne s’est pas ajusté immédiatement - ; ou encore la greffe qui a fonctionné pour Olivia.


Quels ont été les défis les plus importants avec l’adoption ?


Il y a eu de nombreux problèmes médicaux, car les enfants confiés à l’adoption internationale ont souvent des pathologies. L’orphelinat n’a pas toujours les moyens de les soigner, et les faire adopter permet de leur donner une possibilité de survivre et d’être soignés. Quand on adopte, c’est comme signer un chèque en blanc : on dit oui à l’enfant, beau ou non, sain ou non ! Capucine, à 2 ans, ne marchait pas, n’avait pas de dents. Olivia avait des problèmes de cœur, d’estomac... Nous avons eu de vraies frayeurs.


Après nos expatriations successives en Algérie, au Mexique et au Vietnam, nous sommes rentrés en France après le Covid. Les enfants ont grandi et les soins se sont espacés.


Chaque enfant vit différemment sa blessure d’abandon originelle, selon qu’il ait déjà été aimé et valorisé avant son adoption, ou parfois abîmé. Il s’agit de ne pas nier cette blessure, mais de ne pas la réveiller chaque jour.


Il y a aussi le défi, pour l’enfant, d’entendre des remarques sur sa couleur de peau, sur son adoption : il apprend à avoir ses propres réponses, à se construire avec cette histoire, à être fier de celle-ci.


Vous qui avez vécu la maternité biologique et la maternité adoptive, quelles différences voyez-vous entre les deux ?


Pour moi, c’est la même fécondité. J’ai cherché mes enfants adoptifs avec le même ventre, le même cœur que celui qui avait porté Jeanne. Et puis lorsqu’on attend un enfant dans son corps, il y a quand même un sentiment d’étrangeté lorsqu’il naît, on découvre son visage... Dans l’adoption, on retrouve un peu les mêmes ressorts.


En fait, chez nous, les liens du sang ont moins d’importance que dans d’autres familles. Je respecte le don de la mère biologique des enfants, mais je me positionne comme la première et la seule mère de mes enfants. Je pense que c’est fondamental pour eux.


Une spécificité de l’adoption est qu’en couple, nous sommes obligés d’être tout le temps ajustés : si ce n’est pas le cas, l’adoption n’est pas accordée. Ce sont d’ailleurs les services sociaux qui invitent à réfléchir ensemble. Alors qu’avec une grossesse, la mère a parfois une longueur d’avance sur son mari. Pour nous, l’adoption a remis la balle au centre, alors que la maladie et le deuil de notre fille aînée avaient été vécus différemment : « dans les tripes » pour moi, et de manière plus intellectuelle pour mon mari.


Autre particularité de l’adoption : de cette fécondité hors corps, la terre entière se mêle et donne son avis ; on peut nous dire « non ». Bien sûr, heureusement qu’on vérifie qu’on est capables d’adopter, car des enfants adoptables arrivent parfois en miettes... L’enfant n’est pas un lot de consolation, ni un « enfant pansement ». Chaque enfant est unique !


Quel a été votre chemin de foi pendant ce parcours d’adoption ?


J’avais vécu la maladie de Jeanne dans la foi la plus fervente qui soit, et j’attendais sincèrement un miracle. J’ai pu lui faire un don de moelle osseuse, la greffe a pris. Mais des infections ont eu raison de sa santé. Le jour où Jeanne est partie, j’ai perdu la foi. J’avais le sentiment d’avoir été dupée, comme si Dieu avait pris ma fille pour en faire une sainte, alors que je voulais un enfant terrestre. J’étais très en colère pendant une longue période.


La foi est revenue à travers Marie. Elle a toujours été là, au pied de la croix. J’ai voulu me mettre moi aussi sous son manteau. Aujourd’hui, elle me porte beaucoup. Ma foi reste claudicante ; j’arrive à rendre grâce, mais pas à demander. Nous essayons de transmettre la foi à nos enfants, comme nous pouvons ; à l’adolescence, c’est plus difficile.


Auriez-vous quelque conseils pour un couple qui aimerait adopter à l’étranger ?


Les chiffres de l’adoption à l’international baissent de jour en jour, pour différentes raisons. Pour moi, ce qui peut beaucoup aider, c’est de s’installer dans le pays pendant 5 ou 6 ans, et d’adopter en tant que résident – ce que nous avions fait pour Olivia. Cela suppose de tout lâcher pour fonder sa famille ! J’encourage aussi les mères qui ont adopté à se sentir pleinement légitimes : après tout, ce sont elles qui font vivre l’enfant. Propos recueillis par Solange Pinilla


Un roman à deux voix


Inspirée en partie de son expérience, Hélène Machelon a publié L’enfant (Mame). Un chapitre adopte le point de vue de Magdalena, une mère mexicaine qui ne veut pas du nouvel enfant qu’elle porte ; le chapitre suivant, est celui d’Hélène, femme française en désir d’adoption.


Le portrait de la mère biologique a été inventé par l’auteur. Quant au récit d’Hélène, il est autobiographique : « Je n’ai rien inventé. Mais mon cœur de mère de trois enfants adoptés ne peut raconter une adoption plutôt qu’une autre : ces rencontres sont concentrées en une seule ». Écrit d’une plume élégante et efficace, ce roman exprime avec force un désir d’enfant passionné et dévorant. S. P.




Photo © Karine Péron

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