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Le miraculé de la jungle



Il avait fait parler de lui jusqu’en France. Disparu le 28 janvier 2021 au nord-est de la forêt amazonienne brésilienne, dans l’accident de l’avion qu’il pilotait, Antonio Sena avait été retrouvé vivant, 36 jours plus tard, par les cueilleurs d’une noyeraie, amaigri de 27 kilos, épuisé, mais en vie (en tee-shirt noir sur la photo).


Cette survie miraculeuse, dont Antonio Sena témoigne dans le livre Rester vivant jusqu’au bout (XO éditions), il l’attribue à sa foi retrouvée, à son optimisme et à sa prudence, mais aussi à sa connaissance de la forêt. Il doit celle-ci à sa fréquentation d’ouvriers forestiers et d’Indiens durant son enfance et son adolescence, autant qu’à son sens de l’observation et son respect des lieux. D’une certaine manière, l’auteur de ce livre se considère comme un fils de cette forêt amazonienne, avec laquelle il entretient un lien charnel et spirituel.


Dès l’instant de son accident, il adopte les bons réflexes, d’économie de vivres, de construction d’un abri et de maîtrise du feu pour se chauffer et éloigner les bêtes. Mais il se sent également avec la forêt comme avec un être multiple et complexe qui l’a accueilli en son sein.


D’abord effrayé par les bruits qui rompent ce silence permanent et peuvent à chaque instant signifier l’arrivée d’un jaguar ou d’un anaconda, et presque étouffé par la nuit où le désespoir le gagne parfois, Antonio Sena s’est progressivement senti protégé par la forêt. Reconnaissant les fruits comestibles, identifiant certains autres comme tels après avoir observé les singes s’en repaître, ou récupérant encore la résine de l’arbre breu branco pour allumer le feu, il a survécu grâce à la forêt et à ses dons.


C’est à ses rivières qu’il s’est abreuvé et lavé, en évitant toujours soigneusement les larges cours d’eau d’où pouvaient jaillir les prédateurs. C’est dans ses lianes qu’il s’est écorché les mains, avançant péniblement de 27 km en 36 jours, marqués par une conquête de chaque instant sur la nature, pour tracer une piste faite de mille tours et détours. Mais c’est avec ses feuilles et ses branchages qu’il s’est protégé chaque nuit.


Malgré la faim et l’épuisement, en dépit de la claire conscience qu’il pouvait mourir à chaque instant, à cause d’un faux pas ou d’une blessure, notamment à la jambe ou au pied, ou en rencontrant le chemin d’un prédateur, Antonio Sena, dans cette épreuve, a aussi longuement contemplé ces arbres multicentenaires laissant à peine passer la lumière jusqu’au sol. Parmi ceux-ci, des châtaigniers hauts de plus de 60 mètres et dont certains sont plus anciens que les premiers explorateurs portugais.


Antonio Sena est sorti transformé de cette aventure. Ayant retrouvé les siens, il espère bien reprendre le pilotage aérien, mais aussi consacrer son temps et son énergie à la préservation de cette forêt menacée, indispensable à l’équilibre naturel du Brésil, et donc à la vie humaine dans cette région du monde.


Cette forêt, il s'en ressent proche et redevable, au contact de laquelle il a compris que l’homme, pleinement membre de la Création, ne peut se conduire avec elle en prédateur épuisant ses ressources, mais en acteur de celle-ci interagissant harmonieusement avec ses autres composantes - recevant ce qu’elle peut donner, mais rien de plus. Gabriel Privat


Réveil dans l' « enfer vert »


« Il me faut encore quelques secondes pour m’apercevoir que je me trouve dans un vallon envahi d’une végétation dense. La lumière perce difficilement à travers la canopée, plongeant le sous-bois dans une semi-obscurité. Des bromélias, de délicates orchidées s’agrippent aux arbres, d’où coulent des racines aériennes, des cascades d’heliconias rouges et jaunes qui ressemblent à des becs de toucan. Des lianes rugueuses s’entremêlent, luttant pour s’élever vers le ciel dans leur quête vitale d’énergie lumineuse. De ce chaos émergent des palmiers à açaï au tronc gracile. (...)


Et la terrifiante réalité me saute au visage, me réveillant tout à fait : je suis perdu dans un des lieux les plus sauvages de l’Amazonie, cet "enfer vert" qui a avalé tant de vies humaines. » (Rester vivant jusqu’au bout, p. 14)



Photo DR

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