Savourer la Création à l’école de saint François
Paysage d’Ombrie, où vécut saint François d’Assise.
Selon la spiritualité franciscaine, nos cinq sens nous permettent de mieux connaître et aimer Dieu à travers sa Création. Frère Eric Bidot, frère mineur capucin et auteur de La Création retrouvée (éditions Emmanuel), répond à nos questions.
Zélie : Pour saint François, toute chose créée ne peut être reçue que comme un don. Qu’est-ce que cela implique ?
Frère Eric Bidot : Il faut situer et distinguer deux plans qui sont liés. Le premier est de poser un acte de foi en Dieu Créateur, source de tout ce qui est. C’est ce que fait le saint d’Assise et ce sera bien exprimé par un de ses biographes, saint Bonaventure, dans la Legenda major : « À force de remonter à l’Origine première de toutes choses, il avait conçu pour elles toutes, une amitié débordante et appelait frères et sœurs les créatures même les plus petites, car il savait qu’elles et lui procédaient du même et unique principe ».
Le second plan est celui de la singularité de chaque élément du créé qu’il ne faut pas couper de la source de son être, commune à tout existant. Cela implique de développer une relation de reconnaissance en présence des différents éléments du créé qui ont leur consistance propre et leur signification.
Saint Paul interrogeait déjà : « As-tu quelque chose sans l’avoir reçu ? » (1 Co 4, 7). Recevoir le créé pour en user, certes, mais avec l’intelligence du sens du créé et de sa finalité : le créé est le livre dans lequel le Créateur se donne à lire.
Comment voir, dans les objets et les êtres, un miroir du Créateur ?
Je vous conseille la lecture des numéros 233 et suivants de l’encyclique Laudato si, du pape François. Tout d’abord, il rappelle qu’il y a une « mystique dans une feuille, le visage du pauvre... » Le regard doit donc aller plus profondément dans la réalité des choses et non s’arrêter à l’écorce ou en surface ou dans la seule compréhension mécanique de ce qui est.
Ensuite, il nous faut accepter que chaque élément, en référence à sa Source créatrice, porte le signe de cette Source. Or, la Source étant trinitaire, chaque élément, à des degrés divers, exprime, sans se confondre avec la Source, l’empreinte trinitaire. Notre regard est cependant blessé et doit réapprendre à voir, réellement, ce qui est devant lui en rapportant la structure de chaque chose - puissance, sagesse, bonté - à Dieu Créateur et à chercher Dieu en toute chose. C’est un exercice à refaire souvent en s’appliquant à voir une chose dans sa singularité sans l’isoler.
De quelle façon comprendre le plaisir des cinq sens avec un regard chrétien ?
Un théologien franciscain, Bonaventure, dit que le plaisir est affaire de proportion. Le plaisir n’est pas seulement ce que je perçois ou ressens et qui me fait du bien, même si une notion de « bon » en fait partie. C’est aussi à partir d’une source, origine, et d’une finalité plus grande que l’on conçoit le plaisir. Nos cinq sens, « portes de l’âme », permettent au créé d’entrer en nous, non pour accumuler des sensations, mais pour que, marqués de tout le créé, nous rapportions au Créateur tous les biens. Nos cinq sens sont liés à notre mission de « restitution » au Créateur de tout ce qui est.
Les sens ont donc une finalité qui n’est pas la jouissance des choses pour elles-mêmes, mais le plaisir en vue de connaître, aimer et rapporter au Créateur sa création. La sensibilité n’est pas laissée à elle-même, mais un moment de la joie d’être en Dieu et pour lui dès maintenant dans le contexte de sa création.
Selon vous, qu’est-ce que signifie concrètement « savourer la vie » ?
François Cheng, dans Une rencontre inattendue, parle de saint François comme du « Grand Vivant – à ne pas confondre avec le "bon vivant" ; c’est « celui qui va au-devant de la Vie, sans prévention et sans restriction, avec un courage désarmant et une confondante générosité ». Savourer la vie suppose de s’impliquer dans la vie, dans la grande aventure de la vie.
L’écrivain poursuit : « Pour le Grand Vivant, tout est rencontre, tout est interaction, tout est occasion d’une possible transformation. » Sommes-nous prêts à cela ? Propos recueillis par Solange Pinilla
Lire le reste de Zélie n°97 - Eté 2024 sur le thème de "Savourer la vie"
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