Thérèse, un héritage spirituel
Qu’est-ce que sainte Thérèse de Lisieux a changé, dans notre manière de voir Dieu ? Hélène Mongin, déjà auteur d’une biographie des parents de Thérèse, a publié récemment une version commentée des écrits de la sainte de Lisieux, aux éditions Emmanuel : Histoire d’une âme, Poésies et Prières, Lettres et Dernières paroles. Elle répond à nos questions.
Zélie : Pouvez-vous raconter votre « rencontre » avec Thérèse ?
Hélène Mongin : Je l’ai rencontrée à l’âge de 15 ans, juste après ma conversion. Son autobiographie Histoire d’une âme est l’un des premiers livres que l’on m’a donnés. Thérèse m’a fait découvrir le visage du Christ. En effet, sa mission a été et est encore de montrer le visage du Christ : « Aimer Jésus et le faire aimer ». Le nom de Jésus est cité 4000 fois dans ses écrits !
Thérèse m’a aidée à entrer dans les Evangiles et m’a dévoilé le visage de la miséricorde du Seigneur. Cette miséricorde est le mystère qu’elle a le plus contemplé et partagé. Quand on ne le connaît pas, Dieu peut paraître un peu effrayant : il m’a envoyé une « petite fille ». Thérèse et moi sommes tout de suite devenues amies, il y a 25 ans ! Je n’ai jamais cessé de lire et d’écouter ses textes.
Qu’est-ce que Thérèse a apporté de nouveau dans la spiritualité catholique ?
Elle a redécouvert le cœur de l’Evangile, à une époque où Dieu était souvent perçu comme un Dieu justicier et terrible. Elle a offert une révolution copernicienne : alors que les religieuses s’offraient comme victimes à la justice de Dieu, telles des paratonnerres, Thérèse s’est offerte comme victime à l’amour miséricordieux de Dieu, c’est-à-dire elle s’est offerte pour recueillir toute la miséricorde de Dieu non accueillie par l’humanité.
Thérèse a eu sur l’Église une influence inqualifiable : en présentant la sainteté comme non réservée à une élite, elle a préparé l’appel à la sainteté universelle des laïcs, que l’on trouve notamment dans Lumen Gentium du concile Vatican II. De plus, Histoire d’une âme aurait été vendue à plus de 500 millions d’exemplaires, ce qui la fait figurer parmi les livres les plus lus au monde.
Néanmoins, dans ses poésies, Thérèse affirme régulièrement aimer la souffrance...
Il est vrai qu’elle vit dans une époque doloriste dont elle n’est pas totalement « affranchie », en particulier dans ses expressions. Cependant, mieux vaut ne pas tirer les phrases de leur contexte. En regardant l’ensemble de ses écrits, on voit que son but est de sauver les âmes avec le Christ, et par la croix, comme lui. Dans le poème Jeter des fleurs, elle offre ses joies et ses souffrances avec cet objectif. Ce sont les « petites épingles du quotidien », telles que la souffrance de la vie en communauté - elle raconte qu’elle a eu « froid à en mourir » au carmel ; mais aussi la perte de sa mère alors qu’elle avait 4 ans, et la folie de son père à la fin de la vie de ce dernier.
Offrir est pour elle un acte de foi, et tout particulièrement dans les 18 derniers mois de sa vie, où elle vit une nuit de la foi ; elle raconte qu’un mur se dresse entre elle et le Ciel, et qu’une voix lui parle de la « nuit du néant ». Elle éprouve alors en profondeur l’incroyance de notre époque, s’asseyant, comme elle le dit avec simplicité, « à la table des pécheurs ».
Qu’est-ce que la fameuse « petite voie » de sainte Thérèse ?
Elle le raconte elle-même dans les Dernières paroles : « Je voudrais trouver un ascenseur pour m’élever jusqu’à Jésus, car je suis trop petite pour monter le rude escalier de la perfection. (...) L’ascenseur qui doit m’élever jusqu’au Ciel, ce sont vos bras, ô Jésus ! ».
Il s’agit pour elle de partager la sainteté du Christ, de contempler la miséricorde divine et sa propre misère, de se laisser aimer et remplir de l’amour de Dieu. Cela peut paraître facile, mais il n’est pas si simple de se reconnaître petit devant Dieu, et de se laisser aimer par lui. Il s’agit donc de demander la grâce pour tout, y compris pour prier, plutôt que de devenir saint « à la force du poignet ». Cette « voie toute nouvelle » s’exprime par une charité active dans les petites choses.
Thérèse a confiance en Dieu et croit qu’il peut tout faire. Et Dieu exauce son désir d’annoncer son amour, quand on voit tout ce qu’elle a changé dans l’Église et le monde et ce qu’elle réalise encore aujourd’hui !
Il y a 25 ans, en 1997, Thérèse a été proclamée Docteur de l’Église. Pourquoi ?
Les Docteurs sont des saints en qui l’Église reconnaît une doctrine sûre. Thérèse est Docteur en science de l’amour ! Elle nous apprend à aimer. C’est d’abord un amour qu’elle reçoit dans la prière ; elle reçoit tout de Dieu. Et qui s’exprime dans les petits efforts du quotidien. C’est un amour reçu et donné, qui permet de comprendre sa phrase « Aimer c’est tout donner et se donner soi-même » - et non pas dans le sens d’un épuisement.
Thérèse connaît aussi la joie d’aimer avec ses sœurs, dont plusieurs étaient avec elle au carmel. On voit dans ses écrits qu’elle est pleine de tendresse pour elles, et pour les autres religieuses. Cette tendresse continue de s’exprimer ! Ainsi le pape François dit qu’à chaque fois qu’il lui demande quelque chose, elle lui répond d’une certaine façon, et lui envoie une rose blanche, tel un clin d’œil ! Pour moi également, Thérèse se rend présente, comme à beaucoup d’autres personnes. Et à Lisieux, 700 000 personnes viennent chaque année passer du temps avec elle. Elle y continue sa mission d’aimer Jésus et de le faire aimer.
Thérèse est aussi pleine d’humour. Par exemple, un de ses poèmes, rédigé avec les sœurs dont elle était maîtresse des novices, s’appelle Le Ciel en est le prix et évoque avec humour la crécelle du matin, la « pauvre cellule » ou le jeûne qui rend très agile...
En effet, et dans les Dernières paroles, Thérèse multiplie les blagues avec ses sœurs. Une religieuse dit que c’était « un clown qui pouvait vous faire mourir de rire en récréation et vous faire pleurer ». Elle avait aussi un don d’imitation qu’elle tenait de son père.
Pour autant, Thérèse est aussi une âme ardente, très sensible, et qui vit avec une grande intensité personnelle...
En effet, c’est son caractère. Elle est aussi influencée par la culture romantique de son siècle. Son père était un grand lecteur de Chateaubriand, Hugo et Lamartine. Les écrits de Thérèse sont marqués par son amour de la nature et par l’exaltation des sentiments. Pour autant, il ne faut pas s’arrêter au style de la sainte normande. Gilbert Cesbron disait : « Thérèse, on dirait que c’est du sirop, et c’est du sang ». Elle parle de fleurs et de petits oiseaux, mais à travers ces thèmes, il y a une grande profondeur théologique. Pour la comprendre, il faut se mettre à son niveau.
Il est vrai également qu’au carmel, on vit les petites choses avec une certaine intensité, car il n’y a rien pour se distraire de celles-ci. Tout est tourné vers Dieu. La vie au carmel, et plus encore à cette époque, est sèche et pauvre. C’est comme si on vivait à la loupe. D’où l’affirmation de Thérèse que ramasser une épingle pour l’amour de Dieu peut sauver une âme ! Il n’y a pas de « bons sentiments », c’est le don de soi vécu jusqu’au bout. En tout cas, c’est le chemin proposé.
Dans de nombreux textes, Thérèse tutoie Jésus et Marie. Est-ce nouveau à son époque ?
Oui. Dieu pour elle est proche ; elle a avec lui une grande familiarité. Dans une de ses poésies, qui est ma préférée, Au Sacré-Cœur de Jésus, elle dit : « J’ai besoin d’un cœur brûlant de tendresse / Restant mon appui sans aucun retour / Aimant tout en moi, même ma faiblesse... / Ne me quittant pas, la nuit et le jour ». Et plus loin : « Tu m’as entendue, seul Ami que j’aime / Pour ravir mon cœur, te faisant mortel / Tu versas ton sang, mystère suprême !... »
En 2020, vous avez participé comme spécialiste à l’émission « Secrets d’histoire » sur Thérèse de Lisieux, qui a connu un très grand succès - 3 millions de spectateurs, sans compter la rediffusion et les vues en ligne. Comment expliquez-vous cet engouement ?
Ce qui m’a marquée, c’est qu’en plein premier confinement, Thérèse, patronne de la France, débarque chez les Français à la télévision ! Elle nous fait redécouvrir le cœur de l’Évangile et se rend présente auprès des gens... Après l’émission, j’ai reçu de nombreux messages exprimant combien cette rencontre avec Thérèse avait été pour eux un réconfort et une consolation.
Elle est une femme de désir, une immense amoureuse, une passionnée, qui évoque ses désirs infinis : ceux de rencontrer chaque personne et de l’amener à Jésus. C’est aussi une femme de caractère, car il faut l’être lorsqu’à 14 ans, on va jusqu’au pape pour lui demander l’autorisation d’entrer au carmel !
Quelles sont les formes de rayonnement que Thérèse a eues, et a encore aujourd’hui ?
Ces formes sont extraordinairement multiples. Elle a transcendé tous les clivages de l’Église au XXe siècle, et inspiré de nombreux saints, tels que saint Maximilien Kolbe, ou Mère Teresa - qui a pris son nom. Elle inspire des artistes, tels que Natasha St-Pier ou Pierre Eliane qui interprètent ses textes. Nos chants de messe sont imprégnés de ceux-ci – comme Moi si j’avais commis ou Ô Mère bien-aimée. Des livres nombreux transmettent son message.
Aux États-Unis, elle est connue sous le nom de Little Flower (Petite Fleur) et il y a même un Musée Thérèse qui a reconstitué sa cellule. Au Caire en Egypte, une basilique lui est dédiée, fréquentée en majorité par des musulmans ! Ses reliques font le tour du monde – jusque dans une prison en Russie -, suscitant des guérisons et des réconciliations. Thérèse est une médiatrice qui nous rend Dieu proche.
Pour autant, elle n’était pas parfaite, et n’avait pas raison sur tout, étant notamment marquée par la pensée de son époque. Par exemple, elle considérait le mariage comme une « sous-vocation » par rapport à la vocation religieuse. Ou encore, bien qu’ayant contemplé l’Incarnation du Christ, elle avait un certain mépris pour le corps, se réjouissant à la fin de sa vie de ressembler à un « squelette ».
Avez-vous chez vous des photos de Thérèse ?
Oui, au-dessus de mon canapé et sur ma table de nuit. C’est d’ailleurs la première sainte dont on a autant de photos ! Sa sœur Céline a été autorisée à amener son appareil photo lorsqu’elle est entrée au Carmel. Cependant, on n’a pas de photo de son sourire, et c’est dommage. Ses sœurs ont empêché jusqu’à leur mort la diffusion de ces photos, car elles trouvaient qu’elle ne reflétaient pas entièrement Thérèse. En tout cas, en ce qui me concerne, ces photos sont une des manières de Thérèse de se rendre présente jusque chez moi. On se comprend toutes les deux ! Propos recueillis par Solange Pinilla
Pour aller plus loin > archives-carmel-lisieux.fr
(Photo © Office central de Lisieux)
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