Travail : éviter l'épuisement
Cet article est extrait de Zélie n°85 - Juin 2023, à télécharger gratuitement.
Fatigue, stress, longs trajets, surcharge de travail, difficulté à dire non, perfectionnisme… Autant de raisons de se sentir épuisée par sa vie professionnelle. Marie-Lys Pilorge (photo), qui accompagne des personnes en réflexion sur leur vie au travail dans son cabinet NunKairos, propose quelques conseils.
Zélie : Tout d’abord, quelle est la différence entre l’épuisement et le burn-out ?
Marie-Lys Pilorge : L’épuisement physique est l’un des critères du burn-out. Il se manifeste par des douleurs au dos ou aux épaules, par exemple. L’épuisement psychique et cognitif est également un signe de burn-out : on peut ressentir de l’insatisfaction, de la colère, du cynisme, mais aussi des troubles de la mémoire et de l’attention. Dans le burn-out, on vit également un désengagement, un désinvestissement dans la relation humaine.
Quand une personne dit « Je suis en train de faire un burn-out », c’est le plus souvent qu’elle est en « pré-burn-out ». Lorsque c’est un burn-out sévère, la personne ne peut plus se lever. Mieux vaut s’arrêter avant ! Cela peut passer par un arrêt maladie. Si l’on constate qu’on est dans une phase négative, qu’on observe des signaux physiques et psychologiques, mieux vaut réduire la cadence. Par exemple, arrêter des répondre à ses mails professionnels pendant le week-end et les vacances.
Parlons d’abord des facteurs « internes » à l’épuisement professionnel. Certaines personnes se fixent des exigences trop élevées. D’autres sont passionnées par leur travail au point d’y passer trop de temps et de s’épuiser. Comment revenir à un juste rapport au travail ?
En effet, il arrive que ces personnes ne parviennent pas à couper pendant le week-end et les vacances. La question est : « De quoi ai-je besoin en dehors de mon travail ? ». Le travail est un lieu d’épanouissement, mais pas un absolu. En tant que chrétien, c’est un moyen de contribuer à l’œuvre de Dieu. Il existait avant le péché originel, ce n’est donc pas une punition ! Cependant, Dieu s’est reposé le septième jour de la Création.
On peut s’interroger sur la manière dont on nourrit les différentes dimensions de sa personne : corps, cœur, âme, intelligence et volonté. Et décider de faire du sport pour prendre soin de son corps, par exemple. Une jeune femme que j’ai accompagnée a remarqué, elle, que son intellect était délaissé ; l’enjeu a été de chercher de la nourriture à ce niveau-là.
Il arrive que l’on s’épuise parce qu’on a des difficultés à dire non à la demande d’un collègue ou d’un supérieur hiérarchique. Auriez-vous un conseil concret pour savoir refuser ?
La personne peut relire son histoire, et trouver des moments où elle a réussi à dire non, et où cela a été paisible. Si ce n’est pas le cas, elle peut dire non pour de petites choses, et voir que la réaction n’est pas dramatique. Mais aussi s’interroger sur ce qu’elle ressent en imaginant dire non : est-ce la culpabilité de ne pas être à la hauteur ? Si ses peurs sont trop ancrées, les travailler avec une psychothérapie peut aider à les dénouer.
On fait beaucoup par besoin de reconnaissance extérieure, on en fait toujours plus, en quémandant cette reconnaissance. Alors qu’il vaut mieux se la donner à soi, et savourer la fierté d’avoir fait quelque chose. Cela peut passer par un carnet de gratitude, où l’on peut écrire : « Aujourd’hui, j’ai réussi à être à l’heure au travail, je me suis levée du premier coup ». Cela aide à prendre confiance en soi.
Dans Le burn-out, une maladie du don, Pascal Ide décrit les trois dimensions du don : le don reçu, le don approprié et le don qu’on donne. Or, si l’on donne pour avoir de la reconnaissance, ce n’est pas un don gratuit ; la reconnaissance doit venir en surplus.
Parfois, on est très fatigué parce que l’on a procrastiné, on a fini dans l’urgence ou tard le soir ce que l’on avait repoussé, car trop désagréable à faire... Comment moins remettre au lendemain ?
Pourquoi est-ce que l’on procrastine ? Est-ce parce que l’on a peur de se tromper ? Dans ce cas, on peut demander de l’aide, pour les tâches administratives par exemple. Ou est-ce parce que cela nous ennuie ? La solution est de programmer cette tâche rébarbative dans l’agenda, si besoin avec un rappel sur son téléphone, et de la placer soit au tout début de la journée, soit entre deux tâches plaisantes ; ce n’est alors qu’un « mauvais moment à passer » avec une récompense ensuite.
Parlons maintenant des facteurs externes qui mènent à l’épuisement professionnel. Cela est parfois dû à une surcharge de travail en tant qu’employé, à la pression, au manque de personnel...
Si ce n’est pas une situation temporaire due à une collègue absente, on peut en parler à la hiérarchie pour voir ce qui est faisable. Si celle-ci entend le problème, on ajuste la situation. Sinon, on peut se poser la question de changer de poste.
J’ai accompagné une jeune femme qui travaille dans le service public. Elle se sentait prise en étau entre sa hiérarchie et son équipe, et n’arrivait pas à poser ses vacances, car son équipe était trop dépendante d’elle et elle se serait sentie coupable de partir en congés.
Au cours de l’accompagnement, elle a pu poser des journées, mais aussi prendre du recul et ajuster son positionnement. Elle a décidé de fermer la porte de son bureau quand elle prépare des réunions, afin de ne pas être sans cesse dérangée. Elle a davantage formé ses équipes, en précisant les exigences attendues, afin de ne pas avoir à repasser derrière.
Si l’on manque de temps soi-même pour former les personnes, on peut demander à un collègue de le faire, ou bien proposer une formation extérieure. Le principe de subsidiarité implique qu’on laisse agir les personnes dans la limite de leurs compétences.
En tant que cadre ou employeur, l’épuisement peut venir du fait que l’on n’a pas d’horaire et que l’on doit finir ce qui n’a pas pu être fait par les autres. Comment éviter cela ?
On peut relire les processus afin de voir là où il y a du temps perdu, et les optimiser. Si c’est un problème récurrent, on peut mieux découper les tâches. Si ce sont toujours les mêmes personnes qui sont concernées, on peut se demander si elles n’ont pas trop de charge de travail, ou si elles ont besoin d’être accompagnées.
Si c’est un problème financier avec l’impossibilité de recruter et des tâches trop lourdes, on peut voir si certaines tâches peuvent être automatisées : c’est le cas grâce aux logiciels de devis et de facturation par exemple. On peut rédiger des mails types pour les clients, afin d’aller plus vite. On peut revoir la répartition des tâches avec les salariés. Ou encore embaucher une personne uniquement à mi-temps.
Si une personne n’est pas performante, cela peut être aussi parce que la fonction qu’elle exerce ne correspond pas à sa personnalité professionnelle, c’est-à-dire à ses talents. L’enjeu est alors de trouver quelle place lui correspondrait mieux, afin qu’elle soit plus épanouie et performante dans son travail.
Le poids des normes et des tâches administratives peut aussi contribuer à l’épuisement. On pense par exemple aux sage-femmes à l’hôpital qui passent plus de temps qu’avant à remplir des formulaires...
Une question intéressante à se poser pour prendre du recul est celle de la proportion de ces tâches administratives, ou rébarbatives telles que le ménage ou le rangement. Est-ce que cela devient le cœur de mon travail ou est-ce une dimension minoritaire ? En effet, le travail ne peut être totalement joyeux, il y a le plus souvent une partie plus contraignante. Ce qui n’empêche pas d’être épanouie ! Mieux vaut alors regarder le verre à moitié plein et se focaliser sur la partie qu’on aime le plus.
Si néanmoins les contraintes et les normes prennent trop de place, on peut déléguer. Par exemple, un prestataire peut nous décharger de la comptabilité. Sinon, on peut songer à changer de poste, ou rejoindre une entreprise où il y aura moins cette part contraignante.
Auriez-vous un dernier conseil à donner ?
L’essentiel de la prévention de l’épuisement se trouve dans la question du ressourcement. Il est important de savourer les temps de repos, sans culpabilité, et en étant présent à ce que l’on fait. On en parle beaucoup en ce moment, avec la méthode Vittoz, la pleine conscience ou la cohérence cardiaque. Nous sommes comme des vasques, nous avons besoin de nous remplir, pour ensuite déborder. Ainsi, si l’on reçoit des compliments, on peut prendre le temps de se les approprier.
Par ailleurs, si l’on se sent en pré-burn-out – et l’entourage peut aider à en prendre conscience –, mieux vaut prendre du recul et se demander si cela vient d’une fragilité personnelle, d’un dysfonctionnement de l’entreprise, d’une inadéquation entre le poste et ce que l’on peut donner... Est-ce que je me suis « forcée » pour entrer dans le poste, mais je ne me sens pas à ma place ? Pour cette raison, on observe beaucoup de reconversions après un burn-out. Propos recueillis par Solange Pinilla
Contact > Marie-Lys Pilorge – nunkairos.fr - Analyste de la Personnalité Professionnelle
Les mesures anti-épuisement de Carole, chef d’entreprise
Quand on est, comme Carole Juge-Llewellyn, à la tête d’une entreprise de 50 collaborateurs, l’épuisement peut guetter. Dans Boss Mama (éditions Prisma), son témoignage très inspirant sur la création en 2017 de Joone - une marque de couches « saines » - et sur son quotidien, elle raconte que grâce à un coach, elle a pris des mesures pour se sentir moins débordée. « Si je ne tenais pas le coup, la boîte ne tiendrait pas non plus », dit-t-elle.
Depuis, elle fait une séance d’équitation le mardi matin, elle a une assistante qui gère son agenda et à laquelle elle transmet les mails de demandes « à accepter » ou « à refuser », elle va voir sa famille un week-end tous les deux mois... Pour réguler les émotions qui surviennent à chaque mauvaise nouvelle, elle se donne 5 minutes de colère ou de tristesse, puis passe en mode « résolution ». Elle pratique le lâcher-prise en visualisant des voitures en train de passer. S. P.
Photo (c) Maëlenn de Coatpont
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