Victoria, reine d’Angleterre
La naissance, le 24 mai 1819, de Victoria, fille du duc de Kent et petite-nièce du roi régnant Georges III ne fut pas un événement majeur. Si l’enfant était bien placée dans l’ordre de succession au trône britannique, elle n’y était pas destinée. C’est pourquoi, les premières années, notamment sous la férule de sa gouvernante, Mme de Lehzen, ne préparèrent pas Victoria à être à la tête de l’un des premiers États du monde, l’éducatrice se préoccupant uniquement d’en faire une parfaite fille de l’aristocratie britannique.
La mort du duc de Kent en 1820 avait laissé Victoria, dès le berceau, un peu plus éloignée encore de la cour. En effet, la mère de celle-ci, malgré une forte ambition personnelle, ne se préoccupait pas de l’avènement possible de sa fille, et souhaitait même davantage la préserver des tentations de la vie mondaine et curiale. Georges IV, fils de Georges III, monta sur le trône en 1820 également. La mort de Georges IV et l’avènement de Guillaume IV précisait pourtant encore davantage la position de Victoria.
Ce souverain, le premier, se préoccupa de préparer la jeune princesse à son destin royal, mais sans obtenir beaucoup de succès dans ce domaine auprès de la duchesse de Kent. De son côté, la jeune fille, passionnée par les romans de chevalerie de Walter Scott, anglicane pieuse et convaincue, bonne cavalière, devenait une jeune femme de caractère à l’intelligence fine.
Son parent le roi des Belges jouait, dans cette éducation, le rôle d’un mentor épistolaire, conseillant et avisant la princesse. C’est lui notamment qui, en 1836, soutint la rencontre de la princesse avec un jeune héritier de l’aristocratie allemande, parent éloigné, Albert de Saxe-Cobourg. L’année suivante, le 20 juin 1837, la mort de Guillaume IV accomplissait le destin de Victoria qui devenait à l’instant, reine du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande.
Celle qui n’avait été que bien mal préparée à régner épousa avec une discipline intérieure totale la fonction royale. Couronnée en 1838, s’appuyant sur son premier ministre, le libéral lord Melbourne, pour ses premiers pas en politique, Victoria apprit avec conviction le métier de reine. Femme de caractère, c’est elle qui, en 1839, lors de leur deuxième rencontre, proposa le mariage au prince Albert, considérant qu’elle devait disposer seule de sa liberté en la matière, car à sa personne était lié le sort de tout le royaume. Le mariage fut célébré le 10 février 1840.
L’union d’Albert et Victoria, la chronique l’a assez retenue, fut très heureuse. Prince royal sans statut particulier - Victoria n’ayant obtenu de son gouvernement et de son parlement la création du statut de Prince Consort que tardivement -, Albert était, après Melbourne, un conseiller officieux mais avisé de la reine.
Mère de famille nombreuse, Victoria eut avec le prince Albert neuf enfants : Victoria, Édouard, Alice, Alfred, Hélène, Louise, Arthur, Léopold et Béatrice. Presque tous réalisèrent des mariages princiers extérieurs à l’Angleterre, faisant progressivement de la reine la grand-mère des principaux souverains d’Europe.
Souveraine convaincue de son droit et de sa mission sacrée, elle intervenait dans les affaires du royaume, discrètement certes, mais directement, par de nombreuses lettres à son Premier ministre, lui faisant part de son avis sur les affaires tant intérieures qu’extérieures. La royauté avait traversé une période de crise durant les règnes précédents, marqués par des souverains souvent défaillants. Le mouvement républicain s’était développé. L’engagement de Victoria d’abord, puis la longévité extraordinaire du règne et sa stabilité rendirent à l’institution royale son lustre, Victoria devenant, dans l’imaginaire britannique, l’image du royaume lui-même, et de l’empire.
L’empire colonial, en effet, alors en pleine expansion, faisait du Royaume-Uni le gendarme du monde sur le plan diplomatique et militaire, la première puissance industrielle, commerciale et financière du globe, son fer de lance scientifique, mais aussi une puissance missionnaire chrétienne alors même, ô paradoxe, que l’Angleterre était entrée dans une phase de déchristianisation profonde qui inquiétait fort la reine et ses ministres. Victoria, dans ces événements de la seconde moitié du XIXe siècle, fut le soutien indéfectible de la politique impériale de ses ministres, et de l’affirmation de la puissance britannique dans le monde.
La mort du prince Albert, en 1861, marqua cependant un temps d’arrêt dans ce fort investissement. Bouleversée, la reine se retira progressivement de la vie du monde, ne participant plus que de loin aux affaires de l’État et ne se montrant plus à ses peuples. Les Britanniques, d’abord émus, comprirent de moins en moins cette souveraine lointaine. Après le libéral Melbourne au début du règne, c’est le conservateur Disraeli qui, à la fin des années 1870, parvint à ramener Victoria vers son peuple.
Devenue impératrice des Indes en 1876, s’inscrivant ainsi dans la tradition des Grands Moghols captée par le colonisateur britannique, Victoria atteignait une sorte de consécration, associée au développement extraordinaire de la prospérité au Royaume-Uni, jusque dans les couches populaires, où la misère ouvrière massive du début du règne tendait enfin à reculer. Le rigorisme moral victorien, seul, demeurait immuable et pesait parfois sur la jeunesse britannique désireuse de s’en échapper, à l’image de l’aîné des fils de Victoria, le prince de Galles, le futur Édouard VII, qui pourtant fut l’un des rois les plus brillants de sa dynastie.
L’intimité de la reine servait également cette image de modèle britannique. Son amitié pour l’Écossais John Brown lui était pardonnée, ses voyages d’agrément sur la Côte d’Azur et en Toscane, son talent d’aquarelliste ou encore son art maîtrisé d’être grand-mère lui conféraient, au crépuscule du règne, l’image touchante d’une mère à laquelle les sujets pouvaient s’identifier.
Le 22 janvier 1901, la mort d’une reine à ce point associée au destin du royaume sonna la fin d’une ère, qu’on baptisa de son nom même, « l’époque victorienne », alors même que montaient de nouveaux défis ; émergence des États-Unis, mouvements nationaux dans l’empire, socialisme et suffragettes dans le royaume. Il appartiendrait à Edouard VII d’affronter, avec succès d’ailleurs, ces épreuves de l’avenir. Gabriel Privat
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