Virginie, aumônier de prison
Virginie Toulouse a 20 ans, lorsqu’elle se présente à la prison de Riom en Auvergne, pour répondre à une offre d’emploi d’institutrice. « Vous avez le profil, mais revenez dans vingt ans », déclare le directeur. Maintenant, elle y est, en prison : depuis 2015, elle est aumônier à la maison d’arrêt de Caen au sein du quartier hommes, qui compte près de 400 personnes.
Il y a sept ans, alors qu’elle travaillait au service de la formation dans le diocèse de Bayeux-Lisieux, Virginie a reçu une proposition : la responsable de l’aumônerie de la prison de Caen partant à la retraite, on lui demandait si elle voulait prendre sa suite. « J’ai reçu cet appel avec beaucoup de joie. Cela a résonné avec mon histoire, avec mon désir d’annoncer Jésus dans un milieu qui ne le connaît pas. J’ai tout de suite dit oui ! ». Depuis une vingtaine d’années, Virginie est engagée avec son mari dans la communauté du Chemin neuf.
Cette mission reçue de l’évêque, elle « s’y donne comme pour un vrai travail » : « C’est prenant, si on veut vraiment tisser des liens ». En France, les aumôniers catholiques sont bénévoles : « Ce qui m’est versé par l’administration pénitentiaire est envoyé intégralement sur le compte de l’aumônerie nationale des prisons, qui nous reverse ce dont nous avons besoin pour l’aumônerie ».
Dans les prisons françaises, il existe des aumôniers pour différentes confessions et religions – même pour les témoins de Jéhovah –, car le détenu a droit à une assistance spirituelle et à l’exercice du culte.
Concernant l’aumônerie catholique de la maison d’arrêt de Caen, dont Virginie est responsable, elle côtoie trois autres membres : une sœur pour le quartier femmes, et, pour le quartier hommes, un prêtre et un laïc. Ces derniers effectuent beaucoup de visites en cellule – elle-même n’a pas accès aux cellules depuis qu’une femme aumônier a été agressée sexuellement dans une prison voisine.
Virginie se rend à la maison d’arrêt quatre fois par semaine : deux matinées pour des entretiens individuels, un matin pour un travail de groupe nommé Alpha Prison et une école de prière, et le dimanche matin. « Il y a une vraie communauté chrétienne à l’intérieur de la prison, dont on pourrait envier le zèle et la joie de croire ! », assure-t-elle. Elle suit également certains détenus à leur sortie de prison. « Lors des entretiens individuels, la quête de sens est une question centrale pour les détenus : "Qu’est-ce que je fais là ?" et "Est-ce possible de réorienter ma vie ?" ».
Alpha Prison est comme un parcours Alpha classique dans une paroisse, avec des rencontres pour discuter sur le sens de la vie et sur la foi avec des personnes en recherche spirituelle. « Il y a quelques différences avec un parcours Alpha en paroisse. Il n’y a pas de week-end – celui-ci se fait sur trois semaines. Les enseignements sont plus courts, car la capacité d’attention des détenus décline après une vingtaine de minutes. Ils peuvent faire le parcours plusieurs fois, car la première fois, ils écoutent la musique, la deuxième les paroles et la troisième fois le contenu ! Beaucoup d’émotions jaillissent. Enfin, un détenu peut entrer n’importe quand dans le parcours, car dans deux mois, je l’aurai peut-être perdu... »
Les deux premières années de sa mission d’aumônier, Virginie s’est sentie submergée émotionnellement : « Je vivais prison, je mangeais prison, je dormais prison... En rentrant, j’écrivais quelques mots sur l’ordinateur pour "évacuer" tout cela. Un jour, j’en ai discuté avec mes enfants, ils ont voulu voir les textes, et finalement ma fille a envoyé ces lignes aux éditions Mame ». Le livre, paru l’année dernière, s’appelle Entre les barreaux. Fragments de vie détenues. Ce sont des récits, en quelques lignes, courts et denses. Dans la prison, le meilleur et le pire se côtoient ; l’horrible et le sublime aussi. D’un côté, la promiscuité, le bruit, la solitude, la honte, l’ennui, le désespoir. De l’autre, des notes de douceur, de gentillesse, d’humour et d’espérance...
Virginie écrit ainsi, page 59, ce qu’un détenu lui a raconté : « Ce matin, j’ai prié pour la première fois de ma vie. J’ai ouvert la fenêtre, le codé dormait encore. J’étais debout. Et j’ai parlé à Dieu. Et j’ai pleuré, pleuré, pleuré, comme un gamin. Je pleure jamais. Pourquoi ça rend triste, la prière ? Tristesse ? Non pas vraiment. Comme si ça me lavait tout l’intérieur. Joie ? »
Ce que cette femme - dont on perçoit le feu intérieur derrière la gravité apparente -, aime le plus dans sa mission, c’est « quand elle voit un homme accéder à la liberté intérieure, quand le Seigneur habite avec lui, ou lorsqu’un détenu devient disciple missionnaire, en priant pour un autre ».
Elle n’a pas d’appréhension particulière quand elle se rend à la prison. Ce qui lui manque peut-être, c’est le lien avec les autres intervenants, puisqu’elle ne fait pas partie de cette équipe où figurent psychologue et psychiatre. « Quand quelqu’un ne va pas bien, je ne sais pas à qui m’adresser. Comme cette fois où un homme avait laissé des traces d’incontinence ; je ne sais pas s’il souffrait de cela ou si c’était parce qu’il avait peur d’aller aux toilettes, dans sa cellule, devant ses codétenus. »
Aujourd’hui, alors que les années passent, Virginie vit son rôle d’aumônier avec « plus de recul et d’humour, moins d’intensité qu’au début ». « Je prends la mesure de l’étendue du cœur de l’homme, très noir et très beau, confie-t-elle. Il y a toujours une lumière quelque part. Aucun homme n’est un monstre. Tout homme est profondément aimé de Dieu. »
Cette expérience en prison l’a aussi amenée à la question de la liberté : « Qu’est-ce que j’en fais, moi qui suis "dehors" et qui peux faire ce que je veux ? Je ressens aussi une exigence à annoncer Jésus, quel que soit mon état intérieur, à dire que la vie est plus forte que la détention et l’humiliation. "Rien n’est jamais foutu" : je vis davantage la foi dans l’espérance. J’apprends à m’interdire tout jugement, car un jugement ne laisse pas indemne ».
Le fait que Virginie soit une femme n’est pas neutre dans l’exercice de sa mission d’aumônerie : « Mes deux frères aumôniers me disent que les détenus se confient plus à moi qu’à eux. Avec un homme, ils ont une certaine pudeur. En ma présence, celle-ci tombe souvent. Ils me disent : "Tu es comme ma sœur" ou "Tu es comme ma mère". C’est une présence féminine qui leur fait du bien ! »
Virginie Toulouse vient de publier un nouveau livre : Change de vie, deviens bénédiction ! (Mame). Elle invite à bénir Dieu en tout temps, en tout lieu : « J’ai dans ma poche un petit rouleau de bénédiction, une bande de papier étroite sur laquelle je note toutes les personnes qui sont présentes dans ma prière, toutes celles qui me sont confiées ». A n’en pas douter, il en existe un certain nombre... Elise Tablé
Photo © Jean-Matthieu Gautier
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